Téléchargement ACTION LITTERAIRE AOUT 2014 ENTRETIEN AVEC WILFRIED SALOME
Extraits :
Depuis votre précédent ouvrage et même avant, vous avez l'obsession de tailler
en pièce le cynisme, pour lequel les "rêves", "l'utopie", sont des "chimères".
Vous tenez même un discours "romantico-papiste" (sic et lol) sur "l'Amour",
vous invitez les hommes à ne pas céder sur leur faim de. Mais précisément,
comment faire quand on est infecté par ce virus "réaliste" ?
(…)
Nous entrons dans une nouvelle ère, l'ère post-matérialiste, et quand on voit le
temps que met un simple individu à changer les comportements néfastes pour lui
même, à briser la boucle de la répétition et de la fatalité, (notamment dans ses
relations amoureuses), imaginez une société !! …Et pourtant, il s'agit ici d'une
simple remémoration de ce qu'avait déjà compris Platon, ou Sénèque, avec son
" quand tu auras désappris à espérer, je t'apprendrai à vouloir".
C'est l'idée même de chef, de leader, qui est en train de disparaître. L'oppression
est en réalité en train de mourir, et comme un agonisant se redresse une dernière
fois, persuadé de sa guérison. Mais dans les faits le matérialisme, comme le
capitalisme consumériste, sont en miettes. Et au delà des apparences de
l'effondrement, qui me paraît tout bonnement logique et même bénéfique pour
une grande part, je suis persuadé que nous vivons une époque des plus
motivantes, la plus excitante depuis bien longtemps. A condition, bien sur, de ne
pas avoir la tête dans le guidon, de prendre le bon virage. Oui nous roulons
fièrement vers l'abime en faisant un selfie, mais simplement en relevant la tête,
nous pouvons apercevoir le chemin qui se trace devant nous, et éviter,
individuellement, en prenant le bon virage, de participer à l'horreur régressive,
meurtrière et génocidaire en marche. Car la métaphysique est en train de venir au
secours de la désillusion générale, elle nous apporte une solution à la crise
psycho-pathologique identitaire, existentielle, du manque de croyance en soi, en
la vie, en l'amour, en l'avenir.
C'est la première fois depuis des lustres que l'évolution nous parle, que la vie
elle-même nous indique un nouveau chemin. C'est tout bonnement fascinant, et je
trouve assez terrifiant que la majorité des êtres ne le remarque pas, ne s'y intéresse
pas. Car lorsque l'on s'intéresse à ce modèle dont je vous parle, la situation
actuelle devient intelligible. Le champ des possibles, d'un coup, apparaît
nettement derrière les décombres et l'enfumage.
J'en viens donc a penser que c'est une volonté délibérée du capitalisme
financiarisé, du marketing et des mass-médias, de garder les gens dans l'ignorance
de la réalité, alors j'essai simplement de faire mon job, celui de l'écrivain, celui de
Proust, qui disait " les glissements de terrains mettent des générations à se réaliser
: j'essai d'accélérer le mouvement". Et de Kerouac, qui a surenchéri avec son " Je
suis un Proust au pas de course".
Je ne ne sors pas de nulle part, mon petit bouquet d'idées "révolutionnaires" à la
main. Tout ceci est extrêmement pensé, construit, étudié, vérifié. Je suis porteur
de la connaissance des écrivains m'ayant précédé, j'actualise le message, dans
l'espoir de le passer à ceux qui me suivront. Bref je déconne avec beaucoup de
choses, mais je prends mon job au sérieux, voyez. J'apporte ma pierre à
l'édification (l'érection!!) de cette nouvelle cathédrale de la forme dont la
construction à été commencée il y a longtemps, et qui perdure, se poursuit,
s'affine, se précise. J'essai de faire entendre, quitte a sembler m'égosiller dans le
désert, que nous sommes déjà demain. Qu'il faut arrêter avec hier pour réaliser
collectivement le présent, c'est à dire le basculement entre le monde "ancien",
mort, et le monde "nouveau", vivant. Tout en sachant que, dans ce contexte, "le
plus vite possible" signifie déjà être en retard sur le présent, puisque le
changement de civilisation est déjà entamé, et qu'il est irréversible. La question, à
mon sens, est simplement de limiter la casse, en prenant conscience que la crise
actuelle, semblable à une profonde dépression nerveuse, est un signal d'alarme
qu'il nous faut écouter, et positiver. Une désintégration positive d'anciens schèmes
de penser le monde, désormais invalides. Tant que nous ne ferons pas cela, rien ne
changera, tout continuera à baigner dans le sang, c'est une évidence purement et
tragiquement mathématique. Pour ne pas dire cartésienne.
La solution aux errements idéologiques subséquents à la chute de notre
civilisation matérialiste/consumériste viendra de l'alliance des écrivains, des
poètes, des neuro-scientifiques et des métaphysiciens, j'en suis intimement
convaincu. Et je prends date. Dans ce contexte on peut bien me considérer comme
un rêveur, ou un utopiste. Pour moi les grands rêveurs, les grands utopistes, se
sont ceux qui croient encore que l'on pourra sauver notre modèle de société, notre
manière actuelle de concevoir la politique, les relations entre les êtres, ou même,
plus grave encore, le système capitaliste consumériste. Là, on est même plus dans
l'utopie, mais dans le déni pur et simple de la réalité du troisième millénaire. Qui
a commencé pour de bon. Et pied au plancher, encore.
Pour l'ensemble de ces "appels", l'individualisme ne grève t-il pas les possibilités
et les chances de combattre ? Comment comprendre que, pour ceux qui écrivent
comme pour ceux qui créent, en France, il n'y ait pas de mouvement commun,
comme il a pu exister un "surréalisme", des mouvements/creusets ?
Oh, il y en a un, de mouvement, mais il balbutie ses premiers sons, il ne s'est pas
encore clairement affirmé, il cherche à s'auto-définir, à s'affranchir co
mplètement des anciens codes, des anciennes normes. C'est du work in progress.
Cela dit, en soi, c'est déjà infiniment positif.
Petit à petit, les artistes se groupent, se réveillent. Les écrivains, les musiciens, les
peintres se détachent de grosses structures, des galeries d'arts, du marché de l'art.
Par exemple, dans les années 90 et même 2000, un artiste qui s'auto-produisait
était considéré comme un raté, un type dont personne n'avait voulu, qui avait
épuisé toutes les autres solutions. Maintenant, l'image a changée, l'auto-
production est vue comme un signal de dissidence positive, le crowdfunding est
rentré dans les moeurs. Vous êtes plus crédible en auto-production participative
que si vous êtes affilié à un dinosaure de l'édition littéraire ou musicale. A l'heure
actuelle, aucun créateur sérieux n'attend plus rien d'eux. Il faut dire aussi que les
dinosaures de l'édition, et avec eux l'arrière-garde des écrivains et des artistes
mainstream se sont totalement dé-crédibilisés. Le milieu n'est même plus
verrouillé, la porte du coffre fort est carrément soudée. Rien de bon ne sort plus
de la Kapital depuis deux décennies, le réseau est saturé. Tout le monde fuit Paris,
l'avant-garde a enfin compris que l'arrière-garde n'évoluera pas, qu'elle résistera
tant qu'elle pourra, soutenue par les bobos trentenaires, aussi longtemps qu'il y
aura de la tune à se faire. Et cette course aberrante au formatage et au consensuel
est clairement vu comme de la prostitution. Paris ne fait plus rêver les artistes. En
réalité, elle devenue la risée du reste de la France. C'est en région que cela se
passe désormais, que ça résiste. Au niveau créatif Paris est devenue la banlieue de
la France, mais ça, les artistes mainstream ou espérant encore le devenir ne le
voient pas. Ils pensent encore qu'ils sont en première ligne, mais ils ont un
vaisseau spatial de retard.
Wilfried Salomé, Entretien de Wilfried Salomé, Entretien est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.