Une énième Coupe du Monde de football a commencé. Sous l’égide de la FIFA. Et, comme souvent dirigeants du football varient, qui s’y fie est fol : le laïus de Gianni qui croit pouvoir nous infantiliser, je suis, je suis, un sommet de l’indécence. A l’instar de la plupart des dirigeants de ce monde, par exemple, concernant l’environnement, le climat. C’est la loi du temps : qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. L’ivresse du Big Business, des « gros contrats », déclarés ou non. Quand le monde est entre les mains de marchands en marche, seules les gestions bancaires des comptes fonctionnent rigoureusement. Pour le reste, tout se détraque. Le football peut être à la fois le jeu des gamins, partout à travers le monde, et des matchs de mercenaires millionnaires dans des atmosphères aseptisées, avec des spectateurs abreuvés de cocasses colas : un millefeuille dans lequel la surface supérieure fait disparaître toutes les surfaces inférieures, alors qu’elles sont fondatrices. Autant dire, un symbole de la réalité du monde, de la politique qui accompagne la réalité du monde. La sphère, qui erre sur un terrain, même vague, a, par ses proportions, les dimensions idéales pour suivre les ordres impérieux de pieds devenus des mains, bis. Les meilleurs joueurs dictent leur loi aux autres : les meilleurs, et il faut toujours se méfier de l’idéologie des meilleurs. Il y a meilleurs et meilleurs, comme en tout : les vrais, les faux, les imitateurs, les dangereux, meilleurs en tant que dangereux. Il est fascinant que tant associent le football à « la liberté », alors que tout le jeu est fondé sur des décisions, draconiennes : l’Internationale du football est entre les pieds du prolétariat mondial, lui-même cornaqué par la très grande bourgeoisie mondiale. L’apparente fusion des uns et des autres est la plus impressionnante négation de la « lutte des classes » du marxisme : non que Marx ait tort, mais le football, tel qu’il est contrôlé, prétend nier la réalité de, et joue un rôle central dans l’illusion de son inexistence. « Tous potes ». Ben voyons. Et les mercenaires, gavés de millions, ne jouent plus que rarement avec les non-millionnaires, lesquels, quand, exceptionnellement, ils se croisent, le temps d’un petit match, les badent, par un simple rêve, d’être « à leur place », dans une bulle spéculative qui laisse croire que « la lutte des classes » n’existe pas, plus. Enfin, « tous potes », et plus aucune police pour me menacer, plus aucune réduction raciste sur ma personne (quoique, dans certains stades, des échos de, perdurent…). Mais le problème des fanatiques de football est que leur passion in situ tourne en rond : comme aux échecs, le jeu dit tout de ses possibilités et de ses limites. Oui, il est possible d’être admirablement spectaculaire, et l’amélioration des moyens de la représentation télévisuelle, n’a cessé de donner toujours plus de couleurs et de profondeurs. Ce ne sont pas les actions, en soi, des footballeurs, qui hypnotisent, mais une manière de les montrer et de les raconter : comme s’il s’agissait d’exploits, accomplis par des héros, dans un monde où ils sont censés avoir disparu (mais regardez bien, dans les hôpitaux, les écoles, les universités, dans des entreprises de production, ils sont là). Voyez à quel point les enchainées de télévision s’obstinent à montrer les mercenaires millionnaires, voyez à quel point les mêmes ne montrent pas les exploits des infirmières, des enseignants, des travailleurs des chantiers, des égoutiers, etc. Le football mis en scène est une forte métaphore du monde des travailleurs, pour se substituer à lui. Mais une substitution qui tue. Il ne faut donc pas s’étonner que, depuis les années 70, il y ait eu une telle promotion du football sur les chaînes de télévision européenne : il s’agissait d’une action contre les travailleurs et contre les travailleurs organisés. Allez, arrêtez vos c….., allez jouer à la baballe, détentez-vous, respirez, soyez zen.

Dans « Voyages en Ballon », Madani Alioua vous propose 14 nouvelles « impressionnistes ». Un jeune qui vit dans la religion du football connaît ses légendes par coeur : comme Pelé, bondissant, frappant, marquant, but sur but. Salué par des passionnés du monde entier, dont certains, pourtant, n’hésitent pas à tenir des propos racistes contre des « Pelé » sans papier. Parce que, oui, le football n’a rien changé au racisme colonial structurel : il y a les « bons nègres », les Pelé et consorts, et il y les sans-papiers, bons à être exploités, à être chargés par une police dans une Eglise. Et les enfants des classes populaires, sauf s’ils sont noirs eux-mêmes, entendent les deux, de la part de parents, souvent les pères, dont la vie personnelle, familiale, se passe, assis, comme un Zemmour, à dégoiser sur la réalité, une bière à la main. Et non, ceci n’est pas une caricature. C’est aussi cela le football sous diktats de la FIFA : des propos sur et contre le racisme, mais rien en profondeur. Même la nomination d’un dirigeant noir n’y changerait rien. Les choses changeront quand le football mondial ne sera plus sous le contrôle du super-Etat FIFA. Et si vous voulez des détails sur les coulisses de ce monde customisé, écoutez Romain Molina : un journaliste, spécialiste de ce dévoiement, un sport collectif fondé sur des individustars, où l’individualisme est, dans les faits tels qu’ils sont imposés, toujours supérieur au collectif, et, où pour cette industrie des Je-suis-un-héros, les personnes humaines réelles comptent peu, tant qu’elles ne comptent pas seulement en monnaie sonnante et trébuchante.
Comme ce couple de passionnés qui, pour ces trois mois, amènent pour la première fois leur fils dans le stade mythique de Liverpool… Un compte Twitter compte les « morts au travail », un autre « les morts à la rue », et, pour la nouvelle Coupe du monde, il y a eu les « morts au Qatar », pour construire les stades. Mais quid des « morts du football » ? Un stade de football ne rassemble pas des « frères et soeurs », dans un « amour oecuménique » : de logique sectaire, « communautariste », il y a le nous contre eux, et certains prennent cela au pied de la lettre, en croyant vivre une « guerre ». Qu’est-ce que ces « supporters » supportent, soutiennent ? Je me projette à la place de : je suis ce héros qui marque. Mais je ne le suis pas. Le ressentiment est là, puisqu’on m’impose d’être ce que je ne veux pas être. Oui, mais alors, lutte contre ce système ? Non, je préfère, chanter, boire, parce que je sais que la partie est perdue. Comme des joueurs qui ne joueraient pas leur match, parce que l’équipe en face est trop forte. Pas la peine. Mais pourtant, les footballeurs amateurs et amateurs du football ne refusent jamais une partie (les matchs « We love this game », à Pantin), même contre des « meilleurs que nous ». Et, savez-vous, parfois, les amateurs, gagnent. Le football ne mérite pas que l’on tue pour lui, mais ce mauvais football mérite d’être… « arrêté », stoppé : qui est de la partie ? Qui fut de la partie, pour le match Liverpool-Juventus, pour le stade du Heysel, qui fit 39 morts et 400 blessés ? Une nouvelle nous place avant ce match, auprès d’amateurs belges, qui ne se doutent pas qu’ils marchent vers…
En attendant de jouer et de gagner cette partie, celle qui est en cours suscite les plus fortes dominations, parce que les enfants qui se projettent ne le font pas que pour eux-mêmes, mais y associent leur famille, leurs proches. Un enfant qui devient, en grandissant, une « star », fait vivre, par ses millions, ses proches, ses amis, comme seuls les plus fortunés dans le monde peuvent le faire. Comme un Cristiano Ronaldo. Et le jeune Domingo, cet enfant singulier, cet enfant-ancêtre, se destine à. Exceptionnellement, la belle machine du fric à gogo coince : saga Brogba, fratrie blessée par une guerre de frères. Au Brésil, jouer au football et y réussir signifie que, s’en sortir, c’est aussi échapper aux dangers qui rodent : un gang rival, la police, de far-west, qui tue. Ce qu’aucun parti communiste de ces pays n’a réussi à faire, le football le fait : c’est garanti. Sois bon, et nous serons bons avec toi, donnant-donnant. Ce sont les footballeurs qui donnent le plus, et qui reçoivent le moins : sur les milliards qui circulent, ils ne reçoivent que des millions. Mais leurs millions sont des milliards à côté des milliers, pardon, du millier que le travailleur peut, légalement, percevoir, pour son salaire, en France. Au Brésil, le salaire minimum est de… Par l’évocation du légendaire Lev Yachine, Madani Alioua rappelle le match entre l’URSS et les pays capitalistes, avec, le football, comme terrain de guerre froide, et le football, comme les échecs, symbole de cet affrontement. Et à ce jeu, il y a eu des gagnants et des perdants. Mais, comme le racontent et le prouvent les 14 nouvelles, le match social/politique continue. Ces nouvelles ne se contentent pas de décrire des situations : alliant la mémoire de l’Histoire, une réflexion philosophique, politique, comme la remarquable nouvelle « les vacances du régisseur », nouvelle dans laquelle l’auteur interroge les perspectives de la mise en scène télévisuelle du football, elles donnent à penser. En quelques pages, une histoire vous amène à penser à – à rebours de toute l’actualité ET de sa mise en scène.
Dans « La guerre n’oublie personne« , il nous conte l’histoire de Séraphin Barbe, 70 ans, ouvrier imprimeur parisien à la retraite, qui rejoint, en 1940, son neveu Léon à Vichy. A l’hôtel des Ambassadeurs où Léon travaille, se côtoient représentants de petites et grandes nations, hautes personnalités politiques du gouvernement de Pétain, banquiers, industriels et tueurs cagoulards. Séraphin Barbe va tenir le journal de bord de cette époque, relatant des faits inédits sur la conduite collaborationniste. Avec son neveu, ses amis Rimbe et Paulo l’italien, il va se retrouver au cœur d’une histoire sombre qui touche financiers de Vichy, ligues fascistes et jeunes résistants. Le roman a été construit sur une documentation importante et rigoureuse.
Madani Alioua fait partie de ces milliers d’auteur(e)s en France qui ne sont pas médiatisés, et ce par une volonté des médias de parler toujours des mêmes, de donner la parole aux mêmes. Pensez à saluer et lire ces auteur(e)s.
Merci. C’est trop d’honneur. Comme le regret – à leur récente relecture – que mon recueil de nouvelles publié fin 1997 (il m’en reste une vingtaine) n’ait pas pu être re-publié. Ma surprise d’une lecture plus de vingt années après fut réelle. C’est que mes nouvelles noires tiennent encore le coup. Aussi je comprends pourquoi il y a eu refus de re-publication malgré mes efforts. Mes nouvelles traduisent en fictions tout ce que les Voyous de la FIFA, les Thierry Roland d’hier et d’aujourd’hui, le journalisme sportif entièrement cadenassé, censurent. Des censures dans l’avant-match, pendant le match (à la TV par exemple en glorifiant les idôles Ballons d’Or) et dans l’après-match (on peut se passer des logorhées de RMC Sport). Car ils se donnent tous la main, là-haut dans les loges présidentielles et -hélas – ils le font avec l’assentiment des citoyen(ne)s transformés en guerriers dans les enceintes des stades. Reste que – comme toute invention humaine – le jeu reste : rocher indestructible. Et cette beauté du jeu -comme les coups de pinceaux de Van Gogh – sont sans prix, hors de toute valeur d’usage et d’échange.
Une Parole, sincère, respectueuse, profonde, n’est jamais vaine. Mais, pour beaucoup d’auteur(e)s, artistes, les échos de, n’adviennent pas de leur vivant. Principe Van Gogh. C’est ainsi. Et cela est d’autant plus le cas aujourd’hui, que le monde des livres est très contrôlé depuis Paris. Ces nouvelles, en tant que telles, courtes, se lisent facilement, en quelques minutes, et elles nous donnent à penser, fortement. Bravo à toi, l’auteur !