Voltaire et la liberté d’expression : on se trompe de référence, par Valentin Benoit | Déjà-vu | Rue89 Les blogs

Ces jours-ci, nombre d’articles racontent l’explosion des ventes du « Traité sur la tolérance » de Voltaire depuis l’attentat contre Charlie Hebdo, et innombrables sont les références à l’ouvrage et à son auteur par les éditorialistes et intellectuels habituels et par les médias.

L’envie m’est donc venue d’aller lire directement le texte, histoire de voir de quoi on parle (si vous voulez faire pareil, souvenez-vous que le texte est dans le domaine public, et donc disponible gratuitement dans tous les formats).

En gros, de me demander pourquoi Voltaire est devenu un totem de la tolérance et de la liberté d’expression, en un moment où il est vrai qu’on a sans doute besoin de se référer à de grands anciens sur ces sujets-là.

Il n’allait pas « se battre jusqu’à la mort »

Premier constat, déjà connu mais qu’il est toujours bon de rappeler : Voltaire n’a jamais écrit dans ce texte (ni ailleurs, ni même prononcé) la « fameuse phrase » que l’on reprend partout (« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort » ), intox déjà ancienne et qui avait déjà été très bien décryptée par Rue89 (pour les plus pressés, en voici le résumé : cela nous vient d’une – mauvaise – tentative de résumer la pensée de Voltaire par une de ses biographes au début du XXe siècle).

Pourquoi mauvaise ? En grande partie parce que si l’on regarde bien ce « Traité sur la tolérance » et qu’on le compare avec d’autres écrits, on voit un éloge de la tolérance certes, mais essentiellement religieuse, et sous certaines conditions ; qui sont elles-mêmes à bien relativiser quand on les compare à la tolérance et à l’amour de la liberté d’expression que Voltaire lui-même mettait en application.

Un texte un poil plus ambigu

Reprenons donc les choses dans l’ordre, avec ce texte plus compliqué qu’il n’y paraît.

Ce qu’il y a de bien avec les textes assez canoniques comme celui-ci, c’est que tout le monde connaît plus ou moins grossièrement l’histoire : Jean Calas, bourgeois protestant, est accusé à tort d’avoir assassiné avec sa famille son fils qui aurait voulu se convertir au catholicisme, et est condamné à mort sans grande preuve. Voltaire, convaincu par l’un des fils de Calas de son innocence, prend sa défense, tente de peser sur le procès mais ne peut éviter l’exécution ; et obtient sa réhabilitation post-mortem.

Le cœur de l’argumentation est connu, et bien résumé dans la belle « Prière à dieu » de la fin que l’on cite toujours :

« Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger… »

Voltaire passe ses 24 chapitres à alterner entre exemples édifiants (le pire du pire de la torture), discours historique (montrant que les sociétés tolérantes du monde entier se portaient bien), et une argumentation philosophique montrant de manière plutôt très convaincante qu’il n’est ni vraiment raisonnable, ni très intelligent de massacrer des gens parce qu’ils

via blogs.rue89.nouvelobs.com

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