Vanessa Codaccioni : « L’antiterrorisme est l’héritier direct de la justice politique d’exception » | L’Humanité

De la Cour de sûreté de l’État à la cour d’assises spécialement composée, les tribunaux d’exception représentent une tradition française de la lutte antiterroriste. Pour la politologue Vanessa Codaccioni, qui vient de publier Justice d’exception (CNRS éditions), cette action est systématiquement détournée contre les militants, et autres « ennemis de l’intérieur » d’un pouvoir exécutif qui se veut tout-puissant…

Que pensez-vous de la constitutionnalisation de l’état d’urgence ?

Vanessa Codaccioni Les gouvernements ont toujours tendance à vouloir inscrire dans le droit des dispositifs répressifs d’exception, tout en sachant qu’ils pourront être utilisés ultérieurement. Les inscrire dans le droit facilite le recours à ces dispositifs qui sont pourtant liberticides et devraient être temporellement limités et démocratiquement encadrés. La constitutionnalisation de l’état d’urgence confirme la thèse de l’avènement d’une justice d’exception policière et administrative. Le préfet devient central dans le dispositif, ce qui est très inquiétant pour la protection de l’État de droit. Pour une claire séparation des pouvoirs, c’est la justice qui doit contrôler l’administration et non l’inverse.

Comment expliquez-vous cette mise à l’écart des magistrats judiciaires ?

Vanessa Codaccioni Il y a une tradition en France de contourner ou d’utiliser politiquement la justice. Dans l’histoire de l’antiterrorisme, le pouvoir exécutif a toujours eu tendance à contourner l’autorité judiciaire pour donner plus de pouvoirs aux agents qui travaillent avant le procès. Ce qui compte, c’est l’enquête, la surveillance, le fichage, tout ce qui constitue l’avant-crime. La justice judiciaire, moins manipulable, est vue comme un frein parce qu’elle réintroduit de l’aléatoire. On ne peut pas exiger de la justice la même chose qu’on exige de la police et de l’administration. Il y a toujours cette volonté de taper plus fort, plus vite et l’autorité judiciaire a toujours été un frein à une répression accrue.

Vous dites que le procès n’est plus central. C’était flagrant lors de l’assaut de Saint-Denis le 18 novembre, où la volonté des forces de l’ordre n’était visiblement pas d’arrêter les suspects pour qu’ils soient jugés…

Vanessa Codaccioni Nous sommes face à un double évitement de l’arrestation : par les auteurs d’attentats eux-mêmes et par la police. L’objectif est de les neutraliser, de les empêcher de tuer et de les punir d’avoir tué. C’est un vrai problème qu’on ne puisse plus les juger. Avant, la mort n’était pas l’issue recherchée par les auteurs d’attentats terroristes. Il existait une tradition d’utilisation du procès à des fins politiques par les militants. Communistes, gauchistes, indépendantistes ont utilisé le prétoire comme une tribune pour défendre une cause. Aujourd’hui, le procès, comme moment de politisation, n’a plus aucun sens. La mort devient ce moment politique.

En 1955, les députés communistes et socialistes avaient massivement voté contre l’état d’urgence. Cette année, seuls six députés ont fait ce choix. Comment expliquez-vous ce décalage ?

Vanessa Codaccioni Le contexte dans lequel est voté l’état d’urgence aujourd’hui est différent de celui de 1955. La puissance émotionnelle de l’événement meurtrier n’est pas la même. À l’époque, on parlait des « événements d’Algérie », ça paraissait lointain. En novembre, l’état d’urgence est voté seulement quelques

via www.humanite.fr

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