Il y a quelques jours, Arte a mis en ligne cette émission avec Patrick Boucheron, professeur d’Histoire au collège de France, à propos de Socrate et de sa condamnation, judiciaire, à mort, décision exécutée en 399 par l’absorption d’un poison qui fige les muscles et la circulation sanguine. En 26 minutes, l’historien présente les faits et le contexte. Hélas, le propos est bien trop court, schématique, pour rendre intelligible, cette situation, ce contexte, les enjeux, les présupposés historiques, culturels. Plusieurs minutes après le début de cette émission, P. Boucheron évoque les accusateurs, et la période dite du gouvernement des « Trente », dont les accusés ont eu à pâtir. Athènes, bien qu’elle soit, pour son époque, une grande ville, dans cette région du monde, n’atteint pas le million d’habitants, mais plutôt, environ 300.000 habitants, et elle forme, pour elle-même, une Cité-Etat, dans le sens où elle est autonome, où il y a des décideurs, des travailleurs. Ce gouvernement, qualifié d’oligarchique, c’est-à-dire, composé par des dirigeants, riches, fortunés, « importants », dont le nombre total est faible, décide de réduire le nombre des citoyens ayant des droits à 3000. Mais dans quelles circonstances historiques ce gouvernement s’impose t-il ? Il le fait après la seconde « guerre du Péloponnèse », qui dure pendant un peu plus de deux décennies, une guerre fratricide entre Grecs, notamment entre Athéniens et Spartiates, une période qui se conclut par une sanction pour les Athéniens, puisqu’ils sont défaits, dominés, et que leur « empire » disparaît. Pendant la première guerre du Péloponnèse, le fameux Périclès dirige à plusieurs reprises Athènes, mais il meurt de la peste, en 429. Il ne faut pas oublier que, dans la fameuse tragédie de Sophocle, « Oedipe », le héros tragique est lui-même le responsable de l’épidémie qui décime la cité dont il est devenu le roi, en épousant une femme qu’il ne sait pas être sa mère. Quelques années après, des Athéniens décident de revenir à un projet impérial et décident donc d’une nouvelle guerre du Péloponnèse, dont la conclusion est, une nouvelle fois pour Athènes, « tragique ». Les « impérialistes » et « affairistes » (le complexe militaro-artisanal de l’époque) portent une lourde responsabilité dans cette succession de guerres, parce qu’ils les ont voulu pour leurs intérêts propres. Le régime des Trente exprime la conscience de ces décisions, désastreuses, la volonté de sanctionner les responsables/coupables. Et c’est un monde où il est aisé de condamner à mort, d’exécuter. Les Trente ne s’en privent pas, mais il s’agit pour eux de punir des coupables qui ont provoqué la mort de milliers d’Athéniens et de Grecs. Or, cet impérialisme a été soutenu par le régime, « démokratos » : non pas une « démocratie », comme nous l’entendons aisément, mais un régime d’extension des droits aristocratiques à des milliers de citoyens mâles, à l’exception des femmes, des métèques et des esclaves. Mais si les métèques, ces étrangers, n’avaient pas les mêmes droits que les Athéniens, ils n’étaient pas exclus de la cité. Le début de « Politeia » rappelle que certains de ceux-ci ont joué un rôle dans cet impérialisme. Nul besoin d’avoir nécessairement des « droits civiques », quand, déjà, l’argent permettait à des individus, même étrangers, d’être, dans la cité, des « puissants », des influents. Or, les accusateurs de Socrate sont liés à ce camp impérialiste et aux désastres subis par Athènes… Hélas, de toutes ces choses, qu’il faut impérativement prendre en compte pour comprendre « l’affaire Socrate », l’émission d’Arte avec Patrick Boucheron ne pipe mot. A la différence de qui, dans ce livre, revient sur ce contexte historique.
