Quand Mathias observe le paysage depuis la colline de Bisesero, dans l’ouest du Rwanda, ce qu’il voit, c’est l’absence. « Il y avait beaucoup plus de maisons, beaucoup plus de gens dans les champs autrefois. » Autrefois, c’est-à-dire avant 1994, avant le génocide qui a fait disparaître près d’un million de Rwandais, dont 70 % à 80 % de la population tutsie. « Aujourd’hui, c’est vide… », commente-t-il, résigné.
Ce vide, vide dans le paysage, vide dans les parentèles, vide dans les cœurs, est aussi un plein. Un plein dans les souvenirs, un plein dans les consciences et même un plein dans l’espace, avec des mémoriaux érigés de-ci de-là dans les campagnes et les villes. Souvent minimalistes dans leurs formes et leurs contenus, ces monuments servent à préserver l’histoire d’un lieu ou d’un événement spécifique.
Sur la colline de Bisesero, il s’agit de rappeler la résistance héroïque d’une poignée de Tutsis qui ont pris les armes et se sont organisés du mieux qu'ils l'ont pu (y compris, du point de vue militaire) pour essayer de survivre face aux génocidaires qui, jour après jour, les pourchassaient avec fureur. C’est un des rares endroits au Rwanda où il y a eu une résistance organisée et armée face aux milices interahamwe, supplétives du pouvoir en place. Mais c’est aussi un endroit où le génocide des Tutsis par les Hutus, qui se déroulait en vase clos, a été confronté à un intervenant tiers, en l’occurrence des soldats français de l’opération Turquoise. Aujourd’hui, c’est une histoire que les survivants ont autant à cœur de raconter que celle de la résistance. Celle d’un sentiment de trahison (voir l’onglet Prolonger et la vidéo ci-dessous). La mémoire d’un génocide vient parfois se nicher dans des détails.
À Nyange, non loin de Bisesero, l’histoire est celle d’une église dans laquelle tous les Tutsis de la paroisse étaient venus chercher protection, avant que le prêtre et les édiles locaux ne décident d’abattre les murs avec un engin de chantier pour tuer tous les réfugiés plus efficacement… Mais ce dont Aloys Rwamasirabo, un commerçant tutsi qui a survécu grâce à la générosité de ses amis hutus, se souvient avec le plus d’acuité, ce sont les pérégrinations de sa camionnette, la seule du village, qui a servi à transporter les paroissiens jusqu’à l’église. Ça et le fait que, lorsqu’il est sorti de ses cachettes successives au bout de trois mois à l’approche des soldats français, ces derniers l’ont pris pour « un Arabe », tant il était pâle et amaigri et tellement sa barbe avait poussé… (voir l’onglet Prolonger et la vidéo ci-dessous)
Aujourd’hui, Aloys comme Mathias
via www.mediapart.fr