Robert Guédiguian : « Le débat est à l’intérieur même du film » | L’Humanité

Robert Guédiguian Le thème de l’identité ne m’a pas semblé prioritaire pendant longtemps, de mon point de vue communiste et internationaliste. Il est peu à peu venu s’installer au cœur de la vie politique. Il fallait donc s’en emparer, ce que j’ai fait à partir de mon identité arménienne. J’ai à l’égard de l’Arménie une responsabilité. S’agissant de la reconnaissance du génocide, je continue de penser que l’encerclement diplomatique demeure une bonne stratégie, notamment concernant la Turquie dont on peut imaginer qu’à terme ce soit le dernier pays du monde à nier le génocide. Lutter pour sa reconnaissance est une nécessité qui ne se dilue pas. Ensuite, je suis attentif à la juxtaposition des identités. J’aime cette idée que l’identité n’est pas quelque chose que l’on a derrière soi mais devant. Bien sûr, être né à l’Estaque, fils d’ouvrier, accomplir tel parcours, n’est pas indifférent, mais on connaîtra mes identités au moment où je mourrai. Cela s’appellera une biographie. D’ailleurs, je dédie le film à mes camarades turcs.

 

Comment votre approche de ces faits historiques s’est-elle construite ?

Robert Guédiguian Je me suis interrogé sur la manière dont la non-reconnaissance du génocide a construit des images. J’ai voulu attester de ce génocide, pas le filmer. Je pense que cela ne se filme pas. La violence peut toujours devenir un spectacle auquel on pourrait prendre plaisir. Dans le film, le génocide est raconté par le truchement du procès de Soghomon Tehlirian, qui assassine en 1921 à Berlin l’un de ses responsables, Talaat Pacha. Les faits apparaissent au travers de son acte, des plaidoiries de ses avocats, de la sentence d’acquittement qui est une sentence « morale » puisqu’il est coupable du crime et même le revendique. Le noir et blanc que j’utilise pour ce prologue donne le sentiment d’images d’archives. C’est un noir et blanc contemporain car je ne veux pas tromper le spectateur, mais bien sûr les propos tenus sont exacts. C’est également une façon de rendre hommage à l’écriture cinématographique de l’époque, de même que les citations que j’inscris sur des cartons. Ce cadre juridique me semblait propice à restituer cette question de la 
reconnaissance du génocide. Il est établi.

 

On entre ensuite de plain-pied dans une fiction. Qu’est-ce qui la guide ?

Robert Guédiguian Depuis le Voyage en Arménie il y a dix ans, j’avais envie de faire un film sur cette histoire. J’ai été nourri de mes expériences, de mes séjours et rencontres depuis très longtemps, mais je n’ai pas trouvé tout de suite la clé de la fiction que je voulais installer. Cela s’est produit par hasard, lorsque au Salon du livre j’ai rencontré José Gurriaran. Il venait présenter son livre la Bombe, récit de son incroyable histoire personnelle. Jeune journaliste à Madrid en 1980, il saute sur une bombe posée par l’Asala, l’Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie. Il en est resté gravement handicapé. Il ne connaissait rien de cette cause et il s’est mis à apprendre tout ce qui la concernait, de toutes les sources possibles. Il est devenu l’un des ambassadeurs majeurs de la reconnaissance du génocide par l’Espagne. Cela m’a donné un point d’entrée sur les cent ans d’histoire qui se sont écoulés, à hauteur d’un spectateur qui en ignorerait tout.

 

On se retrouve à Marseille au début des années 1980. À quoi ce saut dans le temps correspond-il ?

via www.humanite.fr

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