Utøya, Oslo (Norvège), envoyée spéciale.- « La manière dont nous avons quitté cette île, il y a quatre ans, fut trop brutale. Je ne voulais pas que ça se passe comme ça. Mais il est vrai qu’il m’a fallu du temps pour mesurer l’ampleur de ce qui venait de se passer, et assimiler le fait que tant des nôtres ne seraient plus jamais là », explique Emilie Bersaas, 23 ans, numéro deux des jeunes travaillistes aujourd’hui.
Emilie a eu de la chance le 22 juillet 2011, mais tout aurait pu basculer. Anders Behring Breivik avait débarqué sur l’île dans l’après-midi. Quelques heures plus tôt, il avait fait exploser une voiture piégée dans Regjeringskvartalet, quartier du centre d’Oslo regroupant les différents ministères, semant déjà la panique et la mort derrière lui. À Utøya, petite île située à 38 kilomètres de la capitale, plus de 500 jeunes du Parti travailliste (Arbeidernes Ungdomsfylking, AUF) étaient rassemblés pour leur université d’été.
Après la bombe meurtrière d’Oslo, la confusion régnait, et Breivik, déguisé en policier et lourdement armé, s'était rendu sur cette île en empruntant tout simplement le ferry local. Le bâtiment principal du gouvernement d’Oslo avait été dévasté mais restait debout, ce qu’il ne considérait que comme une réussite partielle. Il avait alors entamé la seconde phase de son plan : tuer le plus possible de jeunes travaillistes, qu’il haïssait et rendait responsables du déclin, à ses yeux, de son pays. Emilie et ses amis n’ont pas réalisé tout de suite que ce « policier » n’était pas venu pour leur protection, bien au contraire.
« J’ai entendu des coups de feu, j’ai tout de suite compris que c’était ça. Je voulais savoir d’où ça venait. » Inconsciente du danger, Emilie a fait le contraire de tous ses camarades. « J’ai couru vers le bruit. Il fallait que je sache. J’étais responsable des autres, je voulais les protéger. Je trouvais que c’était bête de s’enfuir sans savoir. Mais en courant vers le bruit, je courais tout droit vers l’auteur des coups de feu. J’ai croisé mon ami Vegard, qui se cachait ; il a essayé de me raisonner, mais je ne voulais toujours pas, pas sans savoir. À ce moment-là, Breivik a tiré vers nous, et les balles ont touché le sol. Alors Vegard a réussi à me tirer de là. Nous nous sommes cachés dans une salle de l’un des deux bâtiments de l’île, chacun sous un lit. Breivik est arrivé un peu plus tard et a essayé d’ouvrir la porte. Elle était fermée à clé. Il a tiré dessus, puis il est parti. Nous avons attendu très longtemps que les secours arrivent, mais j’avais mon téléphone et je pouvais rassurer les miens », explique-t-elle, en pensant à tant d’autres qui sont restés sans nouvelles – certains pour toujours.
Ces téléphones sont aujourd’hui exposés dans le bâtiment principal du gouvernement – celui-là même que la bombe de Breivik a en grande partie démoli, et dont la reconstruction n’a pas encore débuté. La structure de l’immeuble est identique, simplement recouverte d’une bâche en trompe-l’œil. Son devenir n’est pas encore définitivement tranché. Pour le moment, un genre de mémorial y est ouvert au public depuis le 22 juillet 2015. Sobrement intitulé « Centre du 22 juillet », gratuit, il est pris d’assaut depuis. Des jeunes gens vêtus de noir en gardent l’entrée et interpellent calmement les passants qui font mine d’y entrer.
– Avez-vous l’intention de le visiter ?
– Oui.
– Savez-vous ce qui vous y attend ? demandent-ils encore, avant d’expliquer à chaque visiteur ce qu’il va y trouver.La première pièce est celle du souvenir : sur ses murs sont affichés la photo, le nom et l’âge des 77 victimes de Breivik (69 à Utøya, 8 à Oslo). La seconde pièce diffuse en continu les images d’une caméra de surveillance montrant comment Breiv
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