Mais l’uploading, la migration du cerveau vers l’ordinateur, n’est-il pas un fantasme navrant d’informaticiens qui trouvent leurs ordinateurs plus intelligents qu’eux ?
C’est en tout cas l’idée de personnes qui soutiennent que le propre de l’homme est son esprit rationnel. Seul cet esprit serait digne d’être conservé et développé. D’ailleurs, pensent-elles souvent, on se portera probablement beaucoup mieux lorsqu’on se sera débarrassé de scories comme le corps (putréfiable ) et les émotions (perturbantes).
Je vous accorde qu’implanter son esprit dans un disque dur est aujourd’hui de la science-fiction. Pour autant, je ne pense pas que cela doive nous rassurer à bon compte et nous dispenser de réfléchir à ce qui se passe aujourd’hui.
Le transhumanisme est le miroir des valeurs que nous accordons à l’humain ici et maintenant. Il est très révélateur des tendances profondes de notre société. Cette propension par exemple à toujours plus rapprocher la machine de l’homme.
C’est-à-dire ?
Je prends toujours l’exemple du téléphone. Nous sommes passés du gros téléphone collectif posé sur une table ou accroché à un mur au téléphone individuel toujours plus petit et mobile, toujours plus personnalisé et toujours plus près du corps. On n’a plus besoin de se lever pour aller le chercher, il est constamment dans notre poche !
De là à penser que la prochaine étape est l’implantation du téléphone portable, il n’y a qu’un pas. Dont on a déjà vu les prémices : en 2002 en Grande-Bretagne, deux chercheurs, Jimmy Loiseau et James Auger du Medialab de Londres, ont mis au point un prototype de mobile insérable dans une molaire et relié à l’oreille interne. Plus aucun risque de le perdre ou de déranger les autres par des sonneries intempestives.
Certes, cette invention ne s’est pas encore répandue. Mais je trouve ce mobile molaire symptomatique de ce qui se passe actuellement – sans même s’apesantir sur cette société qui tolère que je ne vous dise pas bonjour lorsque je suis assise en face de vous dans le train mais que je puisse continuer à répondre au téléphone !
En quoi ce rapprochement homme-machine est-il un problème ?
Disons, je le répète, que c’est une question qui doit faire réfléchir. Je suis une anthropologue spécialisée dans l’étude des relations entre l’homme, les techniques et la société. J’ai commencé par m’intéresser aux TIC (technologies de l’information et de la communication), donc au téléphone, à l’ordinateur. Et bien sûr j’ai constaté que ces objets se rapprochaient toujours plus près du corps. Cela m’a amenée à regarder toute une série d’autres technologies : les puces, les implants divers et variés. Mais je me suis vite aperçue que tout cela n’était que la pointe émergée de l’iceberg : la question sous-jacente mais absolument centrale était bien d’augmenter les performances de l’humain.
Est-ce vraiment nouveau ? Ne sommes-nous pas déjà des hommes améliorés ? Des êtres dotés de prothèses comme des lunettes, une voiture ou un téléphone portable qui démultiplient nos capacités ?
Vous avez raison. D’ailleurs il est important de comprendre que le passage de l’homme réparé (celui que l’on soigne après un accident) à l’homme augmenté (celui à qui on confère des capacités hors norme) est bien un continuum : qu’on lui donne des vitamines tous les matins pour avoir de l’énergie jusqu’au soir, que l’on retaille sa cornée de myope, qu’on lui greffe une prothèse, qu’on modifie ses gènes ou qu’on le fasse fusionner avec son ordinateur, on est dans une logique qui est la même. Il existe une différence de degré, et non de nature, entre les vitamines
S’abonner
Connexion
0 Commentaires