Criblée à l'arme de guerre, voici la capitale étripée, hagarde en ce samedi 14 novembre. Le vendredi à Paris, c'est le soir où tout est permis. La parenthèse enchantée, celle de l'alcool joyeux, les potes qu'on retrouve en terrasse pour fêter la fin de la semaine, surtout si la nuit est douce. Ce vendredi, la soirée était belle. Il y avait du foot, des concerts, des soirées partout. La folie djihadiste a fait basculer la fête dans l'horreur absolue. Après la nuit la plus longue, Paris se réveille désert comme jamais. Le métro a rouvert samedi à 12 h 30, mais les rames depuis sont vides, comme au petit matin blême, et encore en fin de journée. Les vitrines des grands magasins, déjà décorées pour Noël, scintillent bêtement, sans spectateurs. Tour Eiffel, musée d'Orsay, Lido, Drouot, etc. : des dizaines de lieux publics et culturels, les cinémas et les théâtres gardent porte close. Sur les sept lieux de l'horreur, les Parisiens se sont recueillis avec des fleurs, une bougie, un mot, dans un silence de tombe.
Devant le Bataclan, samedi soir © Thomas Cantaloube
Les lieux massacrés, tout le monde les connaît. Le Bataclan, ses soirées et ses concerts ; les cafés du 11e gentrifié, un peu populaire encore ; au nord, le Stade de France à Saint-Denis, symbole de la France « black blanc beur » de 1998, où trois terroristes se sont fait exploser vendredi comme sur un marché de Bagdad. « Des quartiers où la jeunesse aime sortir, où on aime vivre librement, où on aime se mélanger au reste du monde », a dit la maire de Paris Anne Hidalgo. Samedi à la mi-journée, elle a donné une conférence de presse pour faire passer le message : « Nous sommes debout. » Debout, peut-être, mais dans quel état ?
Au même moment, au Bataclan, où une centaine de fans d'Eagles of Death Metal ont été assassinés dans un déluge de feu méthodique, des bâches dissimulent un spectacle macabre. Une forêt d’antennes paraboliques squatte les trottoirs. Boulevard coupé, des dizaines de journalistes, mais ni bruit ni bousculade, rien qu'un silence funèbre (parcourir notre portfolio). On aperçoit des camions gris : les fourgons funéraires de la Ville de Paris qui transportent les corps à l’Institut médico-légal, jusqu’à six par véhicule. Un policier donne quelques explications. C'est un vétéran, trente-trois ans de service. Il était là en 1995 lors des attentats de Saint-Michel. Là, encore, le 11 janvier. Il n'a jamais vu « un tel carnage ». « À l'intérieur, c’est criblé de balles. Il y avait beaucoup de jeunes, de dix-huit à vingt-cinq ans. » Il est 13 heures mais les secours sont loin d’avoir terminé la laborieuse évacuation des corps : la police scientifique doit repérer la position exacte de chaque cadavre, l’identifier, recueillir les indices. Les photos de ceux dont on a perdu la trace ici défilent sur les réseaux sociaux : ils font des têtes rigolotes, affichent des mines sérieuses, s'amusent avec des amis, sirotent une bière. À cette heure-ci, leurs proches font encore le tour des hôpitaux pour savoir. Depuis, pour beaucoup, l'espoir s'est envolé.
via www.mediapart.fr