Pour Edgardo Buscaglia, docteur en droit et en économie à l’Université de Columbia (New York), le Mexique traverse une vague de violence sans précédent depuis la Révolution mexicaine. Plus affaibli que jamais, l’État mexicain s’empêtre dans une corruption généralisée qu’il ne contrôle même plus tandis que l’impunité bat des records. Les chiffres de cette « violence mafieuse » sont accablants : depuis 2006, plus de 27 000 personnes ont disparu et 160 000 personnes ont été assassinées. Depuis 2000, 93 journalistes ont été assassinés et 17 sont toujours portés disparus, selon Reporters sans frontières. Dernière victime en date, le journaliste Francisco Pacheco Beltrán dénonçait à Taxco (Guerrero) la corruption des autorités municipales et la violence de la police et des groupes criminels. Il a été assassiné par un commando armé devant sa maison le 25 avril dernier.
Les revolvers n’épargnent pas non plus la classe politique. Récemment, Juan Antonio Mayen, le maire (PAN – droite) de Jilotzingo, dans l’État de Mexico, a été assassiné, son corps criblé d’une centaine de balles, par un commando armé. Pour les autorités, son assassinat serait la conséquence des liens étroits que l’édile entretenait avec le crime organisé. Des autorités locales pieds et mains liés aux mafias mexicaines ; d’autres qui tiennent tête, mais qui en payent le prix, comme Gisela Mota, maire de Temixco, dans le Morelos, assassinée devant sa famille, en janvier dernier, par 15 hommes cagoulés et lourdement armés. Le tort de Gisela Mota ? Probablement d’avoir résisté aux avances du cartel de Los Rojos, qui livre bataille pour conquérir la stratégique route du Morelos, qui relie les champs de pavot de la Sierra du Guerrero à la capitale, Mexico.
Au total, plus de 75 maires ont été assassinés ces dix dernières années. La cruauté ne s’arrête pas au sang qui coule : après la violence des armes, il y a celle d’une justice atone et corrompue, qui pratique bien trop souvent l’impunité et le mépris. Plus d’un an et demi après la tragédie d’Iguala, les parents des 43 étudiants disparus d’Ayotzinapa n’ont toujours aucune certitude quant au devenir de leurs garçons. Ignorés et malmenés par le gouvernement, comme les parents des 27 000 autres disparus, ils n’ont reçu d’appui que de la part de la société civile et de la communauté internationale. Les enquêtes indépendantes ont démonté la fameuse « vérité historique » du gouvernement et pointent du doigt la complicité et la responsabilité de la Police fédérale et de l'armée. Pendant ce temps-là, face à l’indolence cynique des autorités, les parents de disparus s’arment, non de fusils, mais de bâtons, à la recherche des fosses clandestines qui pourraient avoir englouti leurs enfants. Dans ce contexte déplorable, bien plus que les mitraillettes et les dollars de Washington, c’est plutôt « d’institutions démocratiques efficaces qu’a besoin le Mexique ».
Le Mexique est plongé dans une grave vague de violence depuis le début des années 2000. Comment en est-on arrivé là ?
Edgardo Buscaglia. La violence mafieuse mexicaine, avec ses 27 000 disparus, ses assassinats en masse et l’extorsion, obéit à un cadre de corruption généralisée et sans contrôle où les groupes criminels se disputent les territoires et le pouvoir comme des piranhas. L’État mexicain étant faible et ne contrôlant plus grand-chose, les groupes criminels finissent eux-mêmes par contrôler ce système politique atomisé. Mais les mafias mexicaines ne sont pas nées dans les années 2000. Durant les 70 années qu’a duré le PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) au pouvoir, le système politique a fonctionné comme une machine mafieuse parfaitement bien huilée : le régime autoritaire « priiste » contrôlait les groupes criminels, et les utilisait pour faire de la contrebande, du trafic de drogues, mais aussi pour faire le sale travail, comme les assassinats ou la fraude électorale. (…)