Merci patron !: «On est plus forts qu’on ne le croit» – Médiapart

« On n’a pas tous les jours la chance d’avoir des dialogues écrit par Michel Audiard à titre posthume avec un tonton flingueur congelé pendant des décennies qu’on ressort pour nous. C’est même du Alphonse Boudard. » À l’heure du dérushage, en découvrant le potentiel désopilant de l’ex-RG, Ruffin tombe de sa chaise. Celui qui a acquis « une renommée nationale », dit le dossier de presse, en publiant en 2003 les Petits Soldats du journalisme (enquête au vitriol sur les écoles de journalisme qui formatent et décérèbrent), tient son film avec le commissaire et les Klur. Un objet cinématographique inclassable, qui dépasse les frontières entre les genres, les catégories et casse tous les codes.

Il y a du Michael Moore, du Jean-Yves Lafesse, du Michel Audiard, du Molière, du Karl Marx qui nous rappelle que « l’histoire de la société jusqu’à nos jours n’a été que lutte des classes ». Il y a le refrain entêtant du tube des Charlots, qui a donné son titre au film et aussi un peu de « Striptease » chez les Ch’tis avec bières, maroilles et dérision. Il y a du suspens même si on connaît la fin et du rire, de grands éclats de rire, « la supériorité de l'homme sur ce qu'il lui arrive », disait Romain Gary. C’est ce que voulait Ruffin, sortir du misérabilisme social après seize années à couvrir les fermetures d'usines dans une région où « même les chips (Flodor) se sont barrés »« redonner de la vigueur à la contestation ». Et on se gardera bien de vous raconter les nombreux autres ressorts de son bal farcesque en Picardie. Si, pour la route, il ridiculise aussi un suzerain socialiste, cumulard à la tête du PS de l’Eure et secrétaire général de LVMH (les deux n’ont jamais été aussi compatibles), incarnation pathétique de la gauche néolibérale qui veut nous gouverner : le fabiusien Marc-Antoine Jamet. 

« C’est un film d’action directe (…) De celui-ci, on sort chargé comme une centrale électrique et avec l’envie de tout renverser – puisque pour la première fois, c’est une envie qui nous apparaît réaliste (…) De cet événement politique potentiel, il faut faire un événement réel », s’enflamme l’économiste atterré Frédéric Lordon dans les colonnes du Monde diplomatique où Ruffin collabore. Et il a raison. Ce documentaire rare, qui ne montera pas les marches des 20 heures ou de Cannes, financé par la foule via une plateforme de crowdfunding (60 000 euros en trois semaines) et sans un sou du CNC (Centre national de la cinématographie), doit circuler. Rassembler. Secouer. À quelques mois d'une présidentielle morbide dans une France anesthésiée, il faut aller le voir quitte à rouler des kilomètres en covoiturage s'il ne passe pas dans votre cinéma (toutes les salles ici). Parce que c'est un film populaire qui redonne le moral, l’envie de se battre collectivement et qu’il fait date. Signe qui ne trompe pas : le succès des avant-premières dans plus d’une quarantaine de villes et les médias. Même les moins libres recommandent Merci patron !. Enfin pas tous. LVMH est un annonceur de poids pour les journaux quasi tous entre les mains d’industriels milliardaires. Quant aux journalistes des Échos et du Parisien, propriété de Bernard Arnault, ils ont trouvé le film « génial » mais ils n’ont pas le droit d’écrire dessus…

Extraits du film et d'une courte conversation téléphonique avec François Ruffin entre deux avant-premières il y a quelques jours.

« I love Bernard »

« Ce film est né à l’automne 2012. Je me sentais morose dans une France morose. J’ai eu envie de mettre un brin de fantaisie dans ma vie sinon c'était la dépression. J’ai revêtu un tee-shirt « I love Bernard » et je me suis lancé à la rencontre d’anciens salariés de Ecce (cette filiale du groupe LVMH délocalisée en Pologne). J’avais sans le savoir fait un repérage. Depuis 2005, je travaille autour de la figure de Bernard Arnault à la fois pour la défunte émission de France Inter, « Là-bas si j’y suis », et pour mon journal Fakir. Je montre les liens qu'on a fini par oublier entre la misère de ma région et l’homme le plus riche de France. L’origine de sa fortune est à quelques kilomètres de chez moi. Quand il reprend dans les années 1980 Boussac-Saint-Frères en promettant aux pouvoirs publics, aux syndicats, aux salariés qu’il va conserver les emplois alors qu’il va les liquider et uniquement conserver Dior. 

J’avais rencontré tous les personnages du film à l’exception de ceux qui me seront envoyés par le groupe LVMH. L’idée de départ, c’était de réconcilier la France d’en haut avec la France d’en bas. Je voulais emmener ces licenciés rencontrer Bernard Arnault en assemblée générale, organiser une confrontation en direct entre le travail et le capital. Ça a échoué mais quand la lutte échoue par un biais, on prend un autre chemin qui produit autre chose. Là, ça donne ce film sur les Klur que je connais depuis 2005, particulièrement dans la merde puisque les deux travaillaient chez Ecce et ont perdu deux salaires d’un coup. Pour moi, ils allaient crever l’écran. Je n’ai pas eu à les convaincre. La première fois que je suis rentré chez eux, deux minutes, après on tournait. Le deal : c’était que je fasse tout pour les sortir de la merde mais en échange, je faisais mon film ».

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