Le texte ci-dessous a été proposé par une personne qui, jusqu’ici, n’avait jamais écrit pour « l’Action Littéraire ». Les connaissances concernant la série « Le Mentaliste » ne sont pas celles de l’auteur et gérant de ce blog. Mes remerciements vont à l’auteur de cette note.
Pendant quelques mois, nous avons été confinés, et, un certain nombre d’entre nous ont été contraints de rester chez eux, et cela fut mon cas. Je ne suis pas addict au cinéma et à ce que la télévision propose, comme les séries. Mais une amie m’a suggérer de découvrir la série « Mentalist », pour plusieurs raisons, sans s’expliquer bien plus. Il fallait donc que je lui fasse confiance. Après un abonnement à un service de diffusion de films et séries, j’ai donc pu, en prenant le temps, découvrir les différentes saisons de cette série. La série m’avait conduit à un certain nombre de réflexions, d’analyses, mais je n’avais rien écrit sur le sujet, pendant la période de visionnage ou après. Récemment, je suis tombé par hasard sur la fiche Wikipédia de la série, ici. J’ai été étonné par l’état squelettique de la fiche. J’ai pris le temps de regarder quelques vidéos diffusées sur Youtube, également consacrées à la série. J’ai, aussi, été étonné par le peu de profondeur de ce que la série expose. Je me suis décidé à écrire cette note et je l’ai proposé à l’auteur de ce blog. Je le remercie donc vivement de la partager. La note est globale. Elle évoque l’ensemble de la série, les sept saisons, un certain nombre de personnages, d’épisodes. Si vous ne connaissez pas la série, si vous avez l’intention de la voir, il ne faut pas lire cette note ci-dessous. Dans cette note, je vais, rarement, faire le lien entre ce que je dis des comportements et des propos de Patrick Jane par rapport à Epicure, parce que, si le sujet vous intéresse, soit vous avez des connaissances préalables et alors vous comprendrez immédiatement le lien, soit vous n’en avez pas, et alors vous êtes invité(e) à découvrir la pensée d’Epicure, ce qui est d’autant plus « facile » que ce qui nous reste de lui est microscopique (il nous reste 3 lettres).
Le titre de la note indique une comparaison entre le personnage principal de la série, « le mentaliste », Patrick Jane, au penseur Epicure. En effet, à plusieurs reprises, ce personnage fait référence au « plaisir », en tant que principe, premier principe de la vie. Et ses comportements sont tournés vers des bons plaisirs, c’est-à-dire ceux qui ne favorisent pas la dissolution de son unité : s’il boit de l’alcool, il le fait de manière très modéré. Ses plaisirs sont simples : se promener le long des plages. Quand il s’apprête à se marier avec celle qui aura longuement été sa partenaire de travail, il lui propose d’acheter un bateau, et de naviguer pour découvrir le monde (ce qu’elle refuse). Mais son plaisir préféré lui vient des relations humaines, de ses amitiés, avec Teresa (celle avec qui il finit par se marier, à la toute fin de la série, mariage qui transforme du coup cette série en série romantique), avec ses trois collègues principaux, Kimball Cho, Wayne Rigsby et Grace Van Pelt. Même s’il est attiré par elle, comme elle l’est par lui, Jane préfère, longtemps, être pour Teresa, un ami, voire son meilleur ami, mais quand il comprend qu’il va la perdre parce qu’il la laisse partir, il cède à son amour-amitié pour elle, et il lui avoue ses sentiments alors qu’un avion est prêt à l’emporter loin de lui. Si le plaisir, et même le bonheur, sont les véritables « finalités » de la vie, accessibles et qu’il faut désirer, vouloir, la mort a fait son entrée, brutale, dans la vie de Patrick Jane, parce que sa femme et sa fille ont été assassinées par un tueur en série, identifié par ses crimes, par un dessin fait avec le sang de ses victimes sur un mur (une forme élémentaire d’un visage humain avec un sourire, un « smiley »). Or ces assassinats ont été perpétrés par ce tueur en série pour punir Patrick Jane qui, dans une émission de télévision, invité en tant que « médium », s’y était moqué de ce tueur. Ces éléments sont toujours évoqués, mais jamais montrés : la série naît, dans la foulée de ces deux assassinats et après que Patrick Jane est passé un temps indéterminé dans un hôpital psychiatrique, en raison de son état, provoqué par l’intensité de sa souffrance, liée à sa culpabilité. D’autant que dans cette vie antérieure, supposée par la série, Jane n’était pas ce qu’il devient avec la série, un « mentaliste », mais il se présentait comme un « médium », capable d’entrer en contact avec des personnes absentes, comme des morts. Suite à cette tragédie, et avec son engagement auprès d’une organisation policière en Californie, à Sacramento (la capitale de l’Etat), il déclare à plusieurs reprises que sa « médiumnité » était une arnaque, une faute, qu’il était un charlatan, comme tous ceux et celles qui en font commerce (plusieurs épisodes touchent de près ou de loin à ce sujet). D’autant que dans sa conviction, maintes fois répétée à ses collègues, qui, eux, sont des Américains traditionnels (croyance en Dieu, vie après la mort), le devenir-mort est un anéantissement de l’être-individuel, sans survie de quoique ce soit, et il est donc impossible de parler avec les morts, puisqu’ils n’existent plus du tout. C’est exactement ce qu’Epicure expose de manière argumentée, à partir de son discours sur la composition humaine atomique : la mort est la dissolution d’une composition, les atomes n’ont plus de lien. Et c’est pourquoi le fait de mourir se fait sans souffrance puisque quand la mort advient, la personne ne sait pas qu’elle est morte. On passage de la conscience (ou de l’inconscience) à la mort, et c’est fini pour l’éternité. Après avoir prétendu être médium, Patrick Jane devient radicalement anti médium, et il affronte à plusieurs reprises des individus qu’il accuse d’être des voleurs, des menteurs et des charlatans, soit qu’ils prétendent eux aussi être médiums, soit qu’ils soient engagés dans des croyances liées à une doctrine sectaire. Du point de vue épicurien, la « rencontre » entre Patrick Jane et « John le Rouge » est la conséquence d’un « clinamen », c’est-à-dire une déviation inattendue d’un atome, en l’espèce, celui qui dirige la conscience de Patrick Jane, qui, sollicité pour une émission de télévision où le tueur en série est évoqué, il accepte de venir et de s’exprimer sur celui-ci, sans le connaître, sans connaître les affaires, mais seulement par un intérêt bien calculé (la renommée médiatique). Conséquence de cette courbe inattendue de l’atome P. Jane : il vient percuter le tueur « John le Rouge » et sa femme et sa fille payent de leur vie son inconscience. Mais ce qui justifie aussi le rapprochement entre Jane et Epicure, c’est qu’il conseille ses collègues, ses amis, dans plusieurs aspects et dimensions de leur vie, et que, aussi en cela, il finit par confronter, par exemple, au « gourou » qui dirige une secte, Bret Stiles, secte qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la Scientologie. C’est que, outre ce que la série expose quant aux comportements humains qui, volontairement ou involontairement, disent des vérités sur chaque individu, ce qui rend possible qu’un sujet actif et habile puisse les découvrir, les révéler, les faire révéler, la série parle d’une manière subtile de la réalité politico-économique américaine, notamment californienne, en plaçant au coeur de ce monde, l’un des plus puissants au monde, une alliance entre des différents exploiteurs de la crédulité humaine, avec, une secte, des mafieux partout, y compris au sein de la police, d’Etat ET du FBI, des exploiteurs très violents qui n’hésitent pas à tuer, et dont John le Rouge est un symbole. Parce que le motif de l’engagement de Patrick Jane en tant que conseiller, « consultant », du CBI, cette organisation de la police, est, évidemment, la volonté de vengeance contre John le Rouge, en l’identifiant, et en le tuant. A plusieurs reprises, Patrick Jane fait le lien entre « justice » et « vengeance ». Comment l’expliquer du point de vue épicurien ? Pour la victime, la femme de Jane, sa fille, sa vengeance, son intention, sa réalisation, n’ont aucun intérêt. Etant mortes, sans sensation, le fait qu’il y ait vengeance ou non n’a aucune signification, importance. Le seul qui soit concerné, c’est Patrick Jane. S’agit-il d’une dette de sa part, envers sa femme et sa fille ? Là encore, le fait qu’elles n’existent plus fait que la dette n’existe pas plus. C’est lui et lui seul qui est concerné. Si les finalités de la vie sont le plaisir et le bonheur, les plaisirs qui étaient les siens dans ses liens avec sa femme et sa fille, le bonheur qu’il vivait grâce à elle, lui ont été retirés, et par une violence qui l’a aussi frappé. Il est la troisième victime de ce crime. Pour Epicure, le bonheur est fondamentalement lié à l’absence de souffrance, de troubles dans l’âme, avec « l’ataraxie ». Le fait que les souffrances de sa femme et de sa fille résonnent en lui le tient constamment éloigné de cette ataraxie. Il pense donc que tuer John le Rouge lui apportera cette paix. Et quand il rencontre une victime qui se venge, par la mort du coupable de ses maux, il lui pose la question : est-ce que vous vous sentez mieux ? Etes-vous apaisé ? Toute la série tient donc par un fil provisoire, le crime à propos duquel il y a enquête, et les crimes de John le Rouge, parce que, après le meurtre de l’épouse et de la fille de Jane, il continue à tuer. Il y a donc une double enquête : une provisoire, résolue à la fin de chaque épisode, une longue, qui finit par se résoudre. ll faut attendre la quasi fin de la série pour que Patrick Jane se rapproche de John le Rouge, parvienne à l’identifier et à se mettre à le traquer physiquement (je ne dirai pas s’il parvient à… : soit vous savez, soit vous saurez, si vous voulez découvrir cette série). En l’identifiant, il révèle qu’il est un personnage public « important ». Qui aurait soupçonner Monsieur… d’avoir été un tueur en série ? La série met en scène des personnes souvent fortunées, et, la plupart du temps, ce sont, elles, les coupables. Comme c’était souvent le cas dans la série « Columbo » – à laquelle le personnage de Patrick Jane emprunte sa voiture personnelle, une DS. Il est fascinant de voir que ces deux séries, et d’autres, font le lien entre richesse et criminalité, à rebours de ce que les politiciens en vogue aux Etats-Unis disent des « gens bien » et des « gens mauvais », les bandits, les criminels, qu’ils associent à la pauvreté. La série va même plus loin : elle laisse entendre que pour une partie, l’exploitation qu’elle dénonce se fait sur et contre des enfants, et des jeunes filles, par des pédocriminels, « bien installés » (par exemple, au sein de la secte « Visualize », dirigée par Bret Stiles). Jane est aussi original, parce qu’il n’est pas du tout « américain » : quand ils rencontrent des « happy few », beaux, riches, il est insensible à ces signes extérieurs de, et, inversement, il se lie facilement avec les vrais américains, qui sont pauvres, fragiles. Si Patrick Jane travaille avec des policiers pour leur permettre d’arrêter le ou les coupables, il n’est pas un « ami » des « forces de l’ordre », qu’il juge souvent brutales : par leur constante « méthode » ou non-méthode pour résoudre une affaire, en privilégiant les preuves matérielles, plutôt que de s’intéresser aux êtres humains qu’ils rencontrent. Dans une partie de l’avant-dernière saison et dans la dernière (plus courte), les conditions de signification ne sont plus les mêmes, puisque Jane et ses collègues travaillent pour le FBI et plus pour le CBI, service supprimé. De la première saison à la dernière, Patrick Jane est, malgré tout, un personnage plutôt gai, qui se plait à plaisanter, à ironiser, fantasque, provocateur, original, notamment parce qu’il appréhende les affaires criminelles sous un autre angle, et qu’il conduit à les résoudre par des stratagèmes. Derrière ce sourire, il y a l’homme tourmenté par sa culpabilité, par les images de sa femme et sa fille, assassinées, qui souffre profondément. Quand cette vérité se révèle, sur son visage, l’acteur qui interprète Patrick Jane, Simon Baker, a su exprimer ces sentiments, par un visage marqué par la douleur. C’est aussi ce qui explique la valorisation, dans la pensée d’Epicure, des plaisirs et du bonheur, parce qu’ils contredisent la souffrance, les souffrances, lesquelles changent les êtres humains, et peuvent parfois les affecter tant qu’ils en deviennent mauvais. C’est un des impensés de la pensée d’Epicure (de ce dont nous disposons) : il présuppose ce fait, ce sujet, mais il évoque plutôt explicitement les douleurs physiques. La « souffrance morale », laquelle se trouve au coeur de « l’Iliade » et surtout de « l’Odyssée » : Ulysse est un « tueur en série », hanté par les massacres, les violences, les souffrances, les vies détruites, lors de la destruction de la ville de Troie. Le face à face entre Patrick Jane et Bret Stiles, « Visualize » évoque celui entre un épicurien et des (faux) platoniciens, qui exploitent le rapport entre les consciences et les formes pour des promesses mensongères.
PS : de ce que j’ai pu lire ici ou là sur cette série, cette comparaison avec Epicure n’a pas été, jusqu’ici, énoncée, par d’autres. Je peux me tromper, si les créateurs de la série ne se sont pas appuyés sur cette pensée. Il pourrait alors s’agir de réminiscences de la formation scolaire. Et si je ne me trompe pas… Je vous remercie de me créditer de cette théorie (Jean Lerouge*).
* je soumets deux questions aux vrai(e)s connaisseurs de la série : avez-vous remarqué les deux symboles affichés lorsqu’un jour, une porte s’ouvre sur une cache secrète ? Avez-vous remarqué que Patrick Jane utilise un pigeon à un moment décisif, un oiseau dont un personnage avait fait connaître, précédemment, sa haine contre ?