« L’antisionisme est la forme réinventée de l’antisémitisme », Shlomo Sand répond

Cette déclaration, "l'antisionisme est la forme réinventée de l'antisémitisme", a été faite par le locataire de l'Elysée, à l'occasion de la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv, ordonnée par le régime pétainiste pour complaire aux maîtres nazis et pour satisfaire la haine de ses ordonnateurs et exécuteurs zélés, en présence du premier ministre israëlien. Aujourd'hui, une Tribune de Shlomo Sand répond à cette affirmation.

Nous reproduisons son propos :

"« L’antisionisme… est la forme réinventée de l’antisémitisme ». Cette déclaration avait-elle pour but de complaire à votre invité, ou bien est-ce purement et simplement une marque d’inculture politique ? L’ancien étudiant en philosophie, l’assistant de Paul Ricœur a-t-il si peu lu de livres d’histoire, au point d’ignorer que nombre de juifs, ou de descendants de filiation juive se sont toujours opposés au sionisme sans, pour autant, être antisémites ? Je fais ici référence à presque tous les anciens grands rabbins, mais aussi, aux prises de position d’une partie du judaïsme orthodoxe contemporain. J’ai également en mémoire des personnalités telles Marek Edelman, l’un des dirigeants rescapé de l’insurrection du ghetto de Varsovie, ou encore les communistes d’origine juive, résistants du groupe Manouchian, qui ont péri. Je pense aussi à mon ami et professeur : Pierre Vidal-Naquet, et à d’autres grands historiens ou sociologues comme Eric Hobsbawm et Maxime Rodinson dont les écrits et le souvenir me sont chers, ou encore à Edgar Morin. Enfin, je me demande si, sincèrement, vous attendez des Palestiniens qu’ils ne soient pas antisionistes !

Je suppose, toutefois, que vous n’appréciez pas particulièrement les gens de gauche, ni, peut-être, les Palestiniens ; aussi, sachant que vous avez travaillé à la banque Rothschild, je livre ici une citation de Nathan Rothschild, président de l’union des synagogues en Grande-Bretagne, et premier juif à avoir été nommé Lord au Royaume Uni, dont il devint également la gouverneur de la banque. Dans une lettre adressée, en 1903, à Théodore Herzl, le talentueux banquier écrit : « Je vous le dis en toute franchise : je tremble à l’idée de la fondation d’une colonie juive au plein sens du terme. Une telle colonie deviendrait un ghetto, avec tous les préjugés d’un ghetto. Un petit, tout petit, Etat juif, dévot et non libéral, qui rejettera le Chrétien et l’étranger. » Rothschild s’est, peut-être, trompé dans sa prophétie, mais une chose est sûre, cependant : il n’était pas antisémite !

Il y a eu, et il y a, bien sûr, des antisionistes qui sont aussi des antisémites, mais je suis également certain que l’on trouve des antisémites parmi les thuriféraires du sionisme. Je puis aussi vous assurer que nombre de sionistes sont des racistes dont la structure mentale ne diffère pas de celle de parfaits judéophobes : ils recherchent sans relâche un ADN juif (ce, jusqu’à l’université où j’enseigne).

Pour clarifier ce qu’est un point de vue antisioniste, il importe, cependant, de commencer par convenir de la définition, ou, à tout le moins, d’une série de caractéristiques du concept : « sionisme » ; ce à quoi, je vais m’employer le plus brièvement possible.

Tout d’abord, le sionisme n’est pas le judaïsme, contre lequel il constitue même une révolte radicale. Tout au long des siècles, les juifs pieux ont nourri une profonde ferveur envers leur terre sainte, plus particulièrement pour Jérusalem, mais ils s’en sont tenus au précepte talmudique qui leur intimait de ne pas y émigrer collectivement, avant la venue du Messie. En effet, la terre n’appartient pas aux juifs mais à Dieu. Dieu a donné et Dieu a repris, et lorsqu’il le voudra, il enverra le Messie pour restituer. Quand le sionisme est apparu, il a enlevé de son siège le « Tout Puissant », pour lui substituer le sujet humain actif.

Chacun de nous peut se prononcer sur le point de savoir si le projet de créer un Etat juif exclusif sur un morceau de territoire ultra-majoritairement peuplé d’Arabes, est une idée morale. En 1917, la Palestine comptait 700.000 musulmans et chrétiens arabes et environ 60.000 juifs dont la moitié étaient opposés au sionisme. Jusqu’alors, les masses du peuple yiddish, voulant fuir les pogroms de l’empire Russe, avaient préféré émigrer vers le continent américain, que deux millions atteignirent effectivement, échappant ainsi aux persécutions nazies (et à celles du régime de Vichy).

En 1948, il y avait en Palestine : 650 000 juifs et 1,3 million de musulmans et chrétiens arabes dont 700.000 devinrent des réfugiés : c’est sur ces bases démographiques qu’est né l’Etat d’Israël. Malgré cela, et dans le contexte de l’extermination des juifs d’Europe, nombre d’antisionistes sont parvenus à la conclusion que si l’on ne veut pas créer de nouvelles tragédies, il convient de considérer l’Etat d’Israël comme un fait accompli irréversible. Un enfant né d’un viol a bien le droit de vivre, mais que se passe-t-il si cet enfant marche sur les traces de son père ?

Et vint l’année 1967 : depuis lors Israël règne sur 5,5 millions de Palestiniens, privés de droits civiques, politiques et sociaux. Ils sont assujettis par Israël à un contrôle militaire : pour une partie d’entre eux, dans une sorte de « réserve d’Indiens » en Cisjordanie, tandis que d’autres sont enfermés dans un « réserve de barbelés » à Gaza (70% de ceux-ci sont des réfugiés ou des descendants de réfugiés). Israël, qui ne cesse de proclamer son désir de paix, considère les territoires conquis en 1967 comme faisant intégralement partie de « la terre d’Israël », et s’y comporte selon son bon vouloir : jusqu’à présent, 600 000 colons israéliens juifs y ont été installés….et cela n’est pas terminé !

Est-cela le sionisme d’aujourd’hui ? Non ! Répondront mes amis de la gauche sioniste qui ne cesse de se rétrécir, et ils diront qu’il faut mettre fin à la dynamique de la colonisation sioniste, qu’un petit Etat palestinien étroit doit être constitué à côté de l’Etat d’Israël, que l’objectif du sionisme était de fonder un Etat où les juifs exerceront la souveraineté sur eux-mêmes, et non pas de conquérir dans sa totalité « l’antique patrie ». Et le plus dangereux dans tout cela, à leurs yeux : l’annexion des territoires occupé constitue une menace pour Israël en tant qu’Etat juif.

Voici précisément le moment de vous expliquer pourquoi je vous écris, et pourquoi, je me définis comme non-sioniste, ou antisioniste, sans pour autant devenir antijuif. Votre parti politique inscrit, dans son intitulé : « La République », c’est pourquoi je présume que vous êtes un fervent républicain. Et dussé-je vous étonner : c’est aussi mon cas. Donc, étant démocrate et républicain, je ne puis, comme le font sans exception tous les sionistes, de droite comme de gauche, soutenir un Etat juif. Le Ministère de l’Intérieur israélien recense 75% de ses citoyens comme juifs, 21% comme musulmans et chrétiens arabes et 4% comme « autres » (sic). Or, selon l’esprit de ses lois, Israël n’appartient pas à l’ensemble des Israéliens, mais aux juifs du monde entier qui n’ont pas l’intention de venir y vivre. Ainsi, par exemple, Israël appartient beaucoup plus à Bernard Henry-Lévy et à Alain Finkielkraut qu’à mes étudiants palestino-israéliens qui s’expriment en hébreu, parfois mieux que moi-même ! Israël espère aussi qu’un jour viendra où tous les gens du CRIF, et leurs « supporters » y émigreront ! Je connais même des français antisémites que cette perspective enchante ! En revanche, on a pu entendre deux ministres israéliens, proches de Benjamin Nétanyahou, émettre l’idée selon laquelle il faut encourager le « transfert » des Israéliens arabes, sans que personne n’ait émis la demande qu’ils démissionnent de leurs fonctions.

Voilà pourquoi, Monsieur le Président, je ne peux pas être sioniste. Je suis un citoyen désireux que l’Etat dans lequel il vit soit une République israélienne, et non pas un Etat communautaire juif. Descendant de juifs qui ont tant souffert de discriminations, je ne veux pas vivre dans un Etat, qui, par son autodéfinition, fait de moi un citoyen doté de privilèges. A votre avis, Monsieur le Président : cela fait-il de moi un antisémite ?"

Il faut donc constater qu'il existe une MANIPULATION extrêmement dangereuse de la détermination de l'antisémitisme, et désormais, de l'antisionisme, par laquelle des individus JUIFS, dès lors qu'ils sont mis en cause, pour leurs actions, criminelles ou non, pour leurs décisions, criminelles ou non, pour leur responsabilité, prétendent pouvoir neutraliser la ou les critiques et celles et ceux qui les expriment, par cette accusation. Etant donné que le régime sioniste israëlien, actuellement avec un gouvernement d'extrême-droite (qui semble s'entendre comme larrons en foire avec celui de Hongrie !), est composé de Juifs israëliens, qu'il est l'objet de nombreuses critiques internationales pour les violations des droits des personnes, notamment palestiniennes, l'opération qui consiste à intégrer l'antisionisme dans l'antisémitisme reviendrait à sacraliser toute personne juive d'Israël, quoiqu'elle dise, quoi qu'elle fasse. Fort heureusement, de nombreux Juifs du monde entier désapprouvent totalement ce procédé, comme ici, clairement, Shlomo Sand.

Pour l'auteur de ce blog, il faut réitérer des évidences, ou certitudes, importantes :

  • à l'instar de tant d'autres, "le" peuple juif n'existe pas,  raison d'une diversité historique fondamentale. Il y a donc plusieurs groupes et courants sociaux et culturels, avec des classes sociales, comme partout
  • des Juifs peuvent se croire élus, si cette croyance ne sert pas à opprimer, détruire, mais elle n'a aucun fondement, sauf celle d'être une prétention à une Valeur Universelle pour un être très local. L'ouvrage appelé "la Bible" n'est d'ailleurs pas un ouvrage de valeur universelle, mais un ouvrage très particulier, local, et dont les éléments et les histoires ne reflètent nullement ceux de toute l'Humanité. C'est donc un ouvrage qui doit être lu avec précaution, distance, en prenant en compte le contexte, le non-dit, etc.
  • si on accepte l'idée de rassembler, en théorie, les Juifs si divers, ceux-ci forment alors un "peuple" numériquement très faible, dont l'une des villes n'est certainement pas le centre du monde, sauf pour des croyants
  • les Juifs ne sont pas les maîtres du monde, à la différence des Capitalistes, qui sont de toutes les nationalités et les "religions". De ce point de vue là, le fameux "protocole des Sages de Sion" est sans doute un faux, mais même s'il était authentique, pourquoi des Juifs n'auraient pas eu le projet d'être les maîtres du monde, alors que des Allemands l'ont eu ? des Anglais l'ont eu ? des Français l'ont eu ? et des Américains l'ont ? et enfin, il y a une différence entre avoir un projet et y parvenir
  • là où ils sont maîtres, en Israël et à ses frontières, les actuels dirigeants d'Israël, comme beaucoup de ceux qui les ont précédés, mais sans doute plus gravement que ceux qui les ont précédés, sont de mauvais dirigeants, tant sur le plan économique, que sur le plan social et démocratique. Il est absolument inepte que des dirigeants d'un si petit Etat (géographiquement parlant) agisse si mal avec leurs voisins (palestiniens, syriens, iraniens), et contribue donc à susciter envers Israël et les Israëliens juifs autant de haine. Il faut dire que, à chaque fois qu'un Etat est dirigé par des fascistes, soft ou moins, les résultats pour tous, sont dramatiques.
  • Bien des Juifs, d'Israël ou d'ailleurs, sont aimables; peu sont détestables. Pour protéger les détestables, il est absolument scandaleux de prétendre que des personnes détestent même les aimables !
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