Les revues politiques, marxistes, philosophiques, existent encore et se portent – bien comme le prouve la revue Etincelles (revue théorique du PRCF), de laquelle un 36ème numéro vient de paraître. De près de 80 pages, dans un grand format, ce numéro porte à votre connaissance des textes, d’Annie Lacroix-Riz (une deuxième partie consacrée à «Léon Blum haïssait-il la finance ? »), de 2 textes de Georges Gastaud sur «le retour d’une ontologie matérialiste» et sur la question «les progressistes doivent-ils avoir peur de l’Histoire de France ? », d’un texte d’Aurélien Djament sur «la convergence des mouvements écologistes et ouvriers», de Benoît Foucambert, sur «Lénine, le Front unique et l’identité communiste», de Jean-Pierre Combe sur «Darwin contre le néo-libéralisme», et d’autres encore. C’est par un entretien avec Julian Mischi que commence ce numéro, sur l’actualité de la lutte des classes. Le sous-titre de l’entretien pourrait être, «dans le monde du travail et dans les organisations syndicales», si et quand elles méritent une telle désignation. J.M insiste sur les évolutions des structures de travail, et sur les conséquences de ces évolutions sur la syndicalisation, comme sur la volonté patronale de faire disparaître les organisations et les représentants syndicaux. S’il existe un angle «mort» dans la perception et la compréhension de ces rapports de force dans les luttes de classe, c’est pour celles et ceux qui n’ont plus, pas, de travail, et notamment lorsque cette absence-de-travail-salarié est durable. Les «sans», travail, domicile, sont les plus frappés dans ces luttes, mais quid de leur syndicalisation ? De leur présence dans les organisations ? Des messages des organisations à leur attention ? De leur organisation même ? Un des principes dans ces luttes est que la classe dominante décrète que des problèmes comme des personnes n’existent pas. Cette néantisation est, évidemment, sans rapport avec l’existence réelle de tels ou tels, mais elle est déterminante par ses effets dans le fonctionnement et les représentations. C’est par cette prétention de néantisation que J.M commence son propos : «Il y a effectivement une idée prégnante, largement partagée, selon laquelle la classe ouvrière aurait disparue : il n’y aurait plus d’ouvriers en France. De telles représentations minimisent non seulement la réalité du salariat, qui reste formé essentiellement de travailleuses et travailleurs subalternes, mais aussi l’intensité actuelle de la lutte de classe. Le simple fait que les ouvriers soient désormais invisibilisés et que la question des classes devienne secondaire dans l’espace public est une expression en elle-même de cette lutte des classes dans le champ politique et des idées. Cela constitue un résultat d’une lutte des classements sociaux, dimension de toute lutte des classes, comme dirait Pierre Bourdieu. Comme je l’indique au début de mon dernier livre, le discours dominant sur la fin de la classe ouvrière s’impose d’autant mieux aujourd’hui que la représentation du monde ouvrier a été largement réduite aux figures de la grande industrie et à ses secteurs les plus militants. Du démantèlement des vastes concentrations industrielles et de la crise des places fortes du mouvement ouvrier depuis les années 1970, on conclut trop rapidement la disparition du groupe ouvrier et de ses militants. Or, s’il a décliné, son poids demeure significatif : il s’agit de l’un des principaux groupes sociaux, représentant 22 % de la population active française. Seulement, les ouvriers d’aujourd’hui sont moins syndiqués, connaissent des périodes longues de chômage, travaillent davantage dans des petites unités de production, dans le secteur des services, et beaucoup résident dans les espaces ruraux et périurbains. Les ouvriers contemporains ne correspondent plus aux images de la classe ouvrière produites par les militants du siècle dernier, une classe ouvrière dont les instruments de représentation politiques et syndicaux ont été partiellement détruits. Tout un ensemble de facteurs, à la fois sociaux et politiques, ont fait éclater le sentiment d’homogénéité et de force politique de l’ancienne classe ouvrière. Si le groupe ouvrier existe bien, il forme en quelques sortes de moins en moins une classe en tant que telle, d’autant plus que les organisations censées le défendre ont été fragilisées.» (…) Il est d’autant plus important de le rappeler que le patronat et les partis conservateurs ont tout intérêt à l’absence d’organisation des classes populaires, la fragilisation et l’éclatement du monde syndical jouant en leur faveur. Ils ne se privent pas d’alimenter eux-mêmes la dénonciation des appareils et des « corps intermédiaires » Face à cette volonté efficace, l’engagement syndical constitue pour les travailleurs un premier temps dans la réflexion et l’engagement politiques : «L’engagement n’a rien de naturel pour celles et ceux qui appartiennent aux classes populaires et subissent au quotidien une domination sociale et politique. Au contraire, tout un ensemble de processus contrarie leur militantisme dans les entreprises ou les partis. Sur ce plan, les ouvriers subissent une forte marginalisation. La répression antisyndicale qui s’est accentuée ces dernières années, y compris dans des secteurs auparavant réputés protégés comme la SNCF. Plus que dans le p
assé, les syndicalistes sont discriminés et combattus par leur hiérarchie. C’est ce qui explique la date plus tardive d’adhésion pour les nouvelles générations. Tout est fait pour détourner les jeunes ouvriers des syndicats combattifs comme la CGT ou Solidaires. Les ouvriers sont aussi plus largement exclus de la scène politique. La détérioration de leurs conditions de vie et de travail, sous l’impact du développement du chômage et de la précarité, fragilise leur investissement dans l’espace public. À cela s’ajoutent les effets de la valorisation de « compétences » nécessaires à la gestion publique locale, avec le développement de l’intercommunalité et du rôle des « experts » en « développement local ». Le mouvement de professionnalisation du métier politique tend à marginaliser les catégories populaires de la scène municipale au profit de membres de la petite bourgeoisie diplômée. Enseignants, cadres, travailleurs sociaux sont susceptibles de mettre en avant une compétence et une confiance en soi forgées dans des métiers d’encadrement des classes populaires. Or le syndicalisme offre justement la possibilité de contrer ces logiques : il apporte des ressources convertibles en dehors de l’entreprise et opposables aux classes supérieures. Il procure des savoir-faire et une confiance en soi qui permet à des salariés de contester la monopolisation des positions du pouvoir par les catégories les plus diplômées que ce soit dans les assemblées électives ou les organisations politiques. » J.M tient donc un plaidoyer pour cet engagement syndical, totalement «formateur». Malgré tout, cet engagement connaît beaucoup de difficultés, externes comme évoquées, et internes. La «permanence» en est une. J.M. rappelle son importance. Tout dépend alors de ses conditions, comme de ses effets, individuels et collectifs. Un bilan de la «permanence» syndicale semble nécessaire et se faire attendre. Les deux textes de G. Gastaud doivent être lus : le premier, sur «l’Histoire de France», sujet permanent de débats, polémiques, en France, et notamment par l’offensive des réactionnaires et la réponse des progressistes. Le texte est avant tout une contribution polémique sur ce rapport à cette Histoire de la part de la direction officielle du PCF, dans son attelage au PGE, face aux réactionnaires. «Porteuse d’un tel paquet « euro-constructif »1, la direction du PCF-PGE ne peut évidemment que refuser tout ce qui l’amènerait à lutter si peu que ce soit pour la reconquête plénière de notre souveraineté nationale (politique, monétaire, budgétaire, sociale, économique, militaire, diplomatique… et, plus largement, culturelle au sens gramscien du mot !). Impossible donc pour cette direction euro-compromise et socialo-dépendante de relever le gant pour combattre frontalement la relecture xénophobe que les Wauquier, Guaino et autres Sarkozy voudraient imposer de l’histoire de France avec plusieurs « buts de guerre » ultraréactionnaires : diviser les travailleurs, concurrencer le FN sur sa droite, et surtout, susciter une diversion pseudo-patriotique et pseudo-historique, voire pseudo-mémorielle, à la dissolution rapide de la République française dans l’Empire euro-atlantique du capital… » La «colère» anime ce texte. G.G interroge ce qui mine tant le rapport cognitif et interprétatif à notre propre Histoire de prolétaires français, que ce qui mine également le rapport imposé par des clercs communistes non prolétariens à cette même Histoire, dans le cadre de ses politiques et accords avec les Etats capitalistes européens et d’inspiration européenne (USA, …). Le PGE est au coeur de ce rapport, dans une orientation favorable à l’UE/OTAN, en contradiction manifeste avec ses références et avec les peuples. Il n’est pas aisé pour un communiste aussi rigoureux et fidèle à ce Parti dont il fut un membre éminent de devoir ainsi constater de telles erreurs idéologiques : «Quant au reproche dartigollien adressé à Mélenchon de mettre au centre du débat politique le faux problème de l’identité nationale (sous-entendu, aux dépens du débat social), il contredit tout l’héritage du PCF patriote et internationaliste de Pierre Sémard, de Jacques Duclos, de Danielle Casanova et de Missak Manouchian, lesquels n’eurent de cesse d’associer la défense de l’indépendance nationale à celle du prolétariat mondial. Que l’on consulte l’article lumineux Race, peuple et nation de Georges Politzer, qui sera par la suite fusillé par les nazis ; que l’on relise les écrits tout à la fois scientifiques et vibrants de patriotisme qu’écrivit l’historien-résistant Marc Bloch, et l’on verra si Politzer – qui était issu de l’immigration – , ou si M. Bloch, qui était d’origine juive et que persécutèrent les pseudo-patriotes de Vichy, refusaient d’évoquer haut et fort la question de l’histoire nationale, de la lier sans simplification ni caricature à l’histoire socio-économique de notre pays, de rappeler que « la nation, c’est le peuple » (Politzer) ou de citer le mot de Jaurès « un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène ». Qu’on se souvienne aussi que Maurice Thorez fut ovationné par le VIIe congrès de l’Internationale communiste (1935) pour avoir, avec ses camarades Cachin, Duclos et Frachon, disputé aux faux patriotes fascistes le drapeau tricolore, en assumant dans sa totalité contradictoire l’histoire de la nation. C’est sans le moindre complexe que le jeune secrétaire du PC-SFIC, arborait alors le drapeau bleu-blanc-rouge de Valmy et en associant la Marseillaise à l’Internationale, comme le firent si souvent par la suite les résistants communistes que les nazis conduisaient aux poteaux d’exécution de Châteaubriant, du Mont Valérien ou de la Citadelle d’Arras… » Et c’est à un travail qu’il appelle, plutôt qu’à des points de vue superficiels : «Bref, attelons-nous de nouveau au grand chantier politico-culturel qu’a délaissé l’euro-« gauche » établie : reconstituons du point de vue de la classe ouvrière et des forces progressistes en lutte, sans rien gommer ni idéaliser, sans forcer les continuités et sans durcir les inéluctables ruptures, un récit national non falsifié par les classes dominantes. À partir d’une étude scientif
ique du devenir des modes de production et des hégémonies culturelles, redécouvrons l’ensemble des figures et des évènements nationaux qui ont pu porter et scander les luttes de libération dans notre pays, qu’il s’agisse de l’émancipation nationale stricto sensu (car comme le disait Jaurès, « l’émancipation nationale est le socle de l’émancipation sociale »), de l’émancipation politique – ce fut l’œuvre, encore inachevée aujourd’hui, des Sans Culotte et de Robespierre – ou de l’émancipation sociale1, sans omettre l’émancipation anticoloniale : car les anticolonialistes communistes Henri Martin et Henri Alleg n’eurent jamais la sottise d’opposer l’émancipation de « nos » colonies à l’honneur de notre pays, que déshonoraient alors les profiteurs des guerres coloniales et autres « trafics de piastre »… C’est à cette appropriation tant de la France que de l’Histoire de France par la coalition permanente depuis la Révolution Française, de la Bourgeoisie (la «grande») et de la Noblesse, que les prolétaires français doivent répondre, sur le plan théorique (ici, mémoriel), comme sur le plan pratique. A l’exclusion/disparition dans l’animation, la direction et la représentation de la France, pour et contre les prolétaires français, comme évoquée concernant l’entretien avec J.M, contre laquelle il faut agir, c’est la même obligation pour des Communistes aujourd’hui concernant cette même exclusion/disparition des prolétaires constructifs et actifs, dans une fausse «mémoire nationale», comme cela fut le cas lors du centenaire de la Libération, via un site officiel du Ministère de la Défense, dans lequel le récit mémoriel était entièrement dédié aux «gaullistes» et faisait entièrement disparaître les communistes. Hélas, le PCF, informé de, se tut. Et dans la Fête de l’Humanité, «les dirigeants successifs du PCF-PGE dé-marxisé ont peu à peu purgé la nomenclature des allées de la fête de l’Huma, cet itinéraire fléché de l’histoire nationale et mondiale, de toute une série de noms malsonnants : exit Lénine, exit Stalingrad, ou, pour rester en France, au Purgatoire Marat, en enfer Thorez et tous ces communistes français trop rugueux que l’histoire officielle, qui criminalise l’URSS et ses amis français, les Duclos, Frachon, illon, Martha Desrumeaux et autres héros nationaux incontestables, a à jamais proscrits du Panthéon national1. De même la manchette de la nouvelle Huma a-t-elle été purgée de toute référence aux anciens dirigeants du journal que furent Cachin, Vaillant-Couturier, Péri ou Fajon (dont les noms voisinaient naguère avec l’emblème ouvrier et paysan), pour ne conserver qu’un seul nom, jugé consensuel parce que « reconnu »… par la gauche non communiste, celui du grand Jean Jaurès» Incarner ce que furent les figures, connues ou moins connues, du peuple, c’est non seulement garder en mémoire, mais assurer un «devoir de mémoire», tant pour les disparus que pour les nouveaux venus (la «jeunesse»), ne pas abandonner les individus et les forces qui conditionnèrent les victoires et les structures résistantes qui se sont maintenues et nous maintiennent aussi. De ce point de vue, on peut ajouter que l’articulation de «notre» Histoire avec, par exemple, celle de l’URSS, par exemple, pour la formation, les batailles, et les victoires de l’armée rouge, permettrait de rappeler que les principaux donateurs ET victimes des combats et des victoires sur l’hydre fasciste/nazie ont été les communistes, de notre Terre qui se trouve au bout de l’Europe jusqu’à l’URSS, dont le terme extrême-oriental est le bout du continent asiatique, d’une gigantesque et extraordinaire fraternité qui a été trop niée comme ignorée.
Pour le second texte sur «l’ontologie matérialiste», un extrait est ici publié, en PDF.
Le texte de la note en PDF
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