Joshua Oppenheimer : « Mon film a inspiré un mouvement pour la réconciliation et la justice en Indonésie » | L’Humanité

Après « The Act of Killing », qui montrait les auteurs du massacre d'un million de « communistes » en 1965 se pavanant impunément en décapotable, le documentariste américain continue d'explorer la mémoire indonésienne. Cette fois, avec Adi, opticien itinérant dont le frère fut martyrisé, il provoque sans haine une confrontation entre victimes et bourreaux. Rencontre.
HD. Une partie de votre famille a été victime de l'Holocauste. Quel impact cela a-t-il sur votre travail ?
JOSHUA OPPENHEIMER. J'ai grandi avec l'idée que le but de la politique et peut-être de la culture était d'empêcher que ce genre d'atrocités se reproduise. Le « plus jamais ça » est devenu une sorte de cliché autour de l'Holocauste et sous-tend généralement l'idée de « plus jamais contre nous ». Mais chacun devrait l'entendre par « plus jamais ça à qui que ce soit ». Les crimes contre l'humanité sont contre tous les êtres humains. Bien sûr, l'Holocauste est né de l'antisémitisme. Mais ce n'était pas uniquement un crime contre les juifs, mais contre toute l'humanité. En grandissant, j'ai compris que ces choses continuaient d'arriver. Elles sont souvent célébrées comme des victoires pour la liberté et la démocratie par les vainqueurs. Cela m'a conduit à m'interroger sur la guerre froide et la participation des États-Unis et des Occidentaux à ces crimes, y compris avec les Khmers rouges, qui, bien que communistes, ont reçu le soutien secret de la CIA parce qu'ils s'opposaient aux Vietnamiens et à l'Union soviétique. L'aide des États-Unis au génocide indonésien n'était pas guidée par une idéologie politique ni par un combat du monde dit libre contre le communisme mais plutôt par un prétexte pour assassiner les fondateurs des syndicats. Enfin, ce « plus jamais ça » m'a aussi rendu sensible à l'hypocrisie de la présentation d'atrocités comme de belles choses. Toute une culture a été bâtie autour de la justification d'horreurs. Elles peuvent se reproduire si elles sont légitimées. Au début de mon travail en Indonésie, en 2003, je me suis demandé comment auraient réagi les gens si pendant son déroulement, l'Holocauste avait été célébré et que quarante ans après, les nazis étaient encore au pouvoir. Cela a l'air d'un scénario de science-fiction. Il n'en est rien. Cette impunité est l'histoire de notre époque. Mon histoire familiale m'empêchait de rentrer à Londres en me disant « laisse tomber ».
 
HD. Comment expliquez-vous que ce massacre soit très peu connu dans les pays occidentaux ?
J. O. Les génocidaires ont gagné. Ils ont donc effacé leurs crimes de l'histoire officielle. Les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et le Japon ont soutenu les militaires et le régime. Les médias américains, qui auraient dû mener une enquête critique, se sont transformés en sténographes du département d'État. En 1965, les États-Unis augmentaient leur effort au Vietnam. Ils ont justifié leur politique par la théorie des dominos. La nation clé dans ces dominos était l'Indonésie, avec son immense population et ses ressources naturelles. Avec ce massacre, le domino indonésien ne risquait pas de tomber puisqu'il ne restait plus de communistes. Il n'y avait plus de gauche. Ce génocide a été traité de manière grotesque comme une victoire pour la liberté et la démocratie. La faible couverture médiatique tient au fait que cette victoire était embarrassante et que les compagnies américaines, belges, françaises, japonaises ont profité du pouvoir des militaires et de la peur qu'ils engendraient pour faire des profits.
 

via www.humanite.fr

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