Avec le recul sur ce qui s’est passé en Irak, en Libye, ne pensez-vous pas, quand même, que c’est ce mode d’intervention occidental qui rajoute du désordre au désordre et fait le lit des monstres ?
Il n’y a plus aujourd’hui de bonnes solutions. Mais si vous jugez une éventuelle intervention en Syrie par rapport à ce qui s’est passé en Libye, la Libye par rapport à l’Irak et l’Irak par rapport à l’Afghanistan… vous n’allez jamais vous en sortir. Les djihadistes sont toujours en avance d’une guerre et nous toujours en retard d’une. Actuellement, on est en train de réfléchir à la façon d’intervenir en Irak alors que l’enjeu est en Syrie, le seul théâtre où on peut espérer défaire durablement les djihadistes.
En ne choisissant pas, nous avons eu les dictateurs et Al-Qaida : les deux faces du même monstre. Il y a aujourd’hui deux pôles alternatifs de résistance qu’il faut soutenir : en Irak, c’est le Kurdistan de Barzani, même si on doit espérer qu’il ait un jour un fonctionnement moins clanique, et en Syrie, les révolutionnaires d’Alep, qui luttent, je le rappelle, sur deux fronts.
Il faut ajouter que s’il y a aujourd’hui intervention – et encore une fois je ne crois pas à un règlement militaire en soi –, elle ne sera pas réalisée au nom de la « protection » de tel ou tel groupe. Nous sommes des sociétés fragiles, en crise profonde, et nous avons un urgent besoin de projeter à l’étranger des valeurs qui donnent du sens collectif à notre vivre-ensemble.
Comment jugez-vous l’action de la diplomatie française ?
Je ne peux que saluer la cohérence de la position française sur la Syrie, qui a été sabotée par le coup de frein d’Obama aux frappes l’an dernier. Cette cohérence se retrouve aujourd’hui sur l’Irak avec le rôle pionnier de Laurent Fabius au sein de l’Union européenne, dont l’impuissance collective aurait sans cela été accablante. Si on a aujourd’hui une résolution sous chapitre VII à l’ONU, c’est bien grâce à l’action de la France. Là-dessus, chapeau. Sur la séquence kurde, je considère que Fabius a réalisé pratiquement un sans-faute.
Sur Gaza, je suis nettement plus troublé. Le discours de solidarité trop longtemps affiché avec Israël au sommet de l’État a justement produit cette « importation » du conflit israélo-palestinien que l’on prétendait éviter. Et la pire des « importations », une importation du ressentiment, un refus profond du « deux poids deux mesures » tel que je ne l’avais jamais perçu à ce point. L’évolution récente du langage officiel doit impérativement se traduire dans les faits, avec une initiative française en faveur de la levée du blocus de la bande de Gaza, car ce blocus imposé à 1,8 million de femmes et d’hommes est en soi un acte de guerre.
Le conflit à Gaza est d’autant plus grave que, pour la première fois, une offensive israélienne en territoire palestinien est de fait soutenue par l’essentiel des régimes arabes, à l’exception notable du Qatar. C’est une formidable aubaine pour Baghdadi qui peut recruter dans le monde arabe et au-delà, en capitalisant sur l’indignation suscitée par les massacres de Gaza.
Enfin, je serais intéressé à mieux comprendre notre politique envers la Turquie. Je ne vois pas comment on peut lutter contre les filières djihadistes si l’on n’a pas de coopération forte avec les services turcs, puisque tous les djihadistes passent par la Turquie pour aller et revenir. Les dispositions juridiques et policières adoptées en France face à la menace djihadiste sont efficaces dans le cadre hexagonal, mais on n’est ni dans l’anticipation dans le temps, ni la projection hors de nos frontières.
Vous êtes en effet très alarmiste sur la dynamique djihadiste et le risque terroriste. Pourquoi ?
Je suis très inquiet car, depuis un quart de siècle que je travaille sur ce phénomène, je n’ai jamais vu cela. La densit
via www.mediapart.fr