Comme le laissait envisager l'audience il y a 15 jours du Tribunal Administratif de Poitiers, la sanction prise contre Jean-François Chazerans n'a pas été annulée. A la sortie du Tribunal, il a, en quelques mots brefs, mais précis, rappelé les conséquences d'une telle décision : "Pour moi, cette sanction abolit totalement la possibilité d'enseigner la philosophie. Exiger un devoir de neutralité de la part d'enseignants de philosophie comme on le ferait pour des militaires, ça ne tient pas." C'est ce que nous disions ici : il est de bon ton de se scandaliser du procès et de la condamnation à mort de Socrate, mais 25 siècles après, une "démocratie" désignée comme telle par ses dirigeants continue de mettre en cause l'exercice d'une pensée critique, qui les concerne. C'est que ce n'est pas la faute de Jean-François Chazerans et de nous si nous avons vu apparaître ces dernières années des "terroristes" d'un nouveau genre, des assassins de civils. Ces zélés, il a fallu un creuset et un brasier pour les couver. Il y a 30 ans, ils n'existaient pas. Ces "fous d'Allah" ont été soit directement aidés (en Afghanistan, dans les années 80, les Etats-Unis ont soutenu Ben Laden et ses amis pour faire la guerre à l'URSS), soit indirectement sollicités, par des décisions, de guerres, en Irak, en Libye, par lesquelles des centaines de milliers de civils ont perdu la vie. Mais malgré tout, ce qui s'est passé en janvier 2015 à Paris, comme au printemps 2012 à Toulouse (les crimes de Mohammed Merah), n'aurait jamais dû se passer, si des professionnels payés pour cela (pour la fameuse "sécurité"), avaient bien fait leur travail. Ces tristes événements ont été assez étudiés, par différents groupes de personnes (députés, journalistes, etc). Le "renseignement intérieur" a cumulé des ratés, des erreurs, et des fautes. On peut le demander clairement : qui a été sanctionné pour cela, de la base au sommet de la hiérarchie ? Et c'est donc pour un débat, sollicité par des élèves, qu'un professeur de Philosophie, qui a peut-être brutalement, maladroitement (ou pas car la question de la "matérialité des faits" se pose, pourtant affirmé par le TA) rappelé que pour de tels faits, il y a forcément des causes antérieures et du côté de ceux qui ont été visés, se retrouve sanctionné, pour le fait qu'à l'occasion de ce débat, il aurait manqué à son devoir de réserve et à la neutralité. Autrement dit : il suffisait de ne pas permettre aux élèves d'avoir un débat et tout allait mieux dans le meilleur des mondes de l'Education Nationale, alors même que de partout, les professionnels de l'enseignement étaient invités à organiser et encadrer de tels débats. Pourquoi un professeur de Philosophie, qui doit bien souvent d'entendre des opinions, superficielles, stupides, contradictoires, aurait-il été le seul à être interdit d'exprimer dans ce débat une opinion, alors que lui aussi était sous le choc des événements ? Il lui aurait fallu ne pas être touché par ceux-ci, par l'émotion des élèves, et être capable de dominer son sujet. Mais dans ce cas, un professeur de Philosophie ne serait plus un être humain. Comment se passe le va et vient entre l'émotion et "la raison" ? C'est un sujet que, après le débat politique, il aurait pu avoir avec les élèves, à condition qu'il ne soit pas immédiatement suspendu. C'est que dans les propos de Jean-François Chazerans, il y a de la tristesse et de la colère. Si des décisions dangereuses n'avaient pas été prises par des "autorités", dont aucun des membres n'a été mise en cause, poursuivi, pour sa responsabilité, ces tragédies n'auraient pas eu lieu, et c'est à nous qu'il a été demandé d'en "répondre" ! La suspension et la sanction étaient immédiatement irrationnelles et injustes. Elles le restent. Ceux qui ont décidé de la prendre peuvent l'annuler. Il appartient aux professeurs de Philosophie de bien étudier cette affaire, ces tenants et aboutissants, la décision du Tribunal, pour décider s'ils restent passifs – et dans ce cas, s'ils cautionnent l'insécurité pédagogique et administrative que cette décision approfondit, aggrave.
S’abonner
Connexion
0 Commentaires