Cette nouvelle édition de "Dieu, sans religions" est disponible sur cette page. En voici un extrait : "Il faut dire que, dans le monothéisme tel qu’on nous parle de celui-ci, avec des cultes, comme le Christianisme, les Christianismes en fait, l’Islam, les Islam en fait, le Judaïsme, les judaïsmes en fait, ces contradictions existent, notamment sur le principe même. En effet, ces cultes sont parfois strictement manichéens, c’est-à-dire qu’ils opposent un Bien et un Mal, et donc, ils ne sont pas monothéistes, puisque, pour être monothéiste, il faut croire en un Principe Universel qui n’a aucune force contraire. Évidemment, être manichéen est une possibilité, un droit, et beaucoup le font, ce choix, mais dans ce cas, on peut même dire qu’ils sont polythéistes, puisqu’il croit en deux Divinités suprêmes. Le fait que l’une soit dite bonne et que l’autre soit dite mauvaise, et que, les adeptes disent, évidemment, sauf exception, vénérer celle qui est bonne, ne change rien à l’affaire. Dans l’authentique mono-théisme, il y a une seule Unique-Unité. Le Manichéisme est à la fois la Contradiction même, et le danger le plus grand. Pourquoi ? Si Mani, au 3ème siècle après Jésus Christ, a pu donner une forme spécifique à un principe de croyance selon lequel le réel est structuré par un conflit constant entre deux forces égales, le Bien et le Mal, au point que cette confrontation porte dans notre langue le nom de manichéisme, ce principe existait antérieurement à Mani, dans deux courants majeurs reliés, l’un largement oublié, l’autre devenu au contraire très célèbre, le Gnosticisme d’un côté, et le Christianisme de l’autre. C’est donc dans la culture hébraïque que le pré-manichéisme a été conçu et s’est diffusé. C’est dans le Gnosticisme qu’il a pris corps. Là encore, le langage est constamment un problème, parce l’expression d’unité/unicité, le «gnosticisme», est, historiquement, nécessairement, une illusion, dans la mesure où il prétend synthétiser une multitude de courants, différents, voire, divergents, mais qui ont toutefois une racine commune, absolument unique dans l’Histoire des peuples. En effet, avec ces cultes divers et ces cultes de la diversité elle-même, les autres peuples ont exprimé un rapport d’affection, d’appréciation, voire, de vénération, pour cet Univers qui est la maison des Humains, dans lequel les fruits, les fleurs, les formes de vie animales, nous donnent tant, tout. Avec ce mouvement gnostique également si divers, il y a une nouveauté historique, qui est une «bombe», dans tous les sens du terme : tant l’Univers que notre condition, ontologiquement matérielle, corporelle, tout est mauvais, parce que tout cela a le malheur d’être placé sous la tutelle d’un Dieu mauvais, malfaisant. (…) Dans un certain nombre de textes gnostiques, la Lumière d’en-haut préexiste seule à toute création. Un accident survenu dans le monde supérieur engendre une puissance difforme et ignorante, Ialdabaôth, autour de qui se forme un éon ténébreux, notre bas monde. La Lumière entreprend une œuvre salvatrice pour anéantir cet éon maléfique. Les diverses divinités sont considérées comme perverses, comme le Démiurge de la Bible, Élohim, et celui-ci ne cesse d’envoyer contre les parfaits des cataclysmes et persécutions. C’est pour cela que le texte dit de la Genèse est un texte gnostique, et sa compréhension actuelle est l’inverse de celle que les Gnostiques lui ont donné, avec son sens. En effet, le récit, très connu, expose le processus de la Création Universelle, avec un tohu-bohu mis en ordre par Elohim. Dans un Jardin/Paradis où la vie est parfaite, il place d’abord un mâle, puis de lui, il lui donne une compagne. L’explication devenue commune, c’est que ce récit nous parle d’une situation originale de pureté qui devient celle du péché absolu, jusqu’à la rédemption. Et les conséquences du dit péché, sont l’obligation pour le mâle de travailler et pour la femme de faire naître les descendants, dans les souffrances, et d’avoir éternellement peur de celui qui la dupait, le serpent. Mais pour les Gnostiques, qui en sont à la source, ce récit n’a pas du tout ce sens. Le monde dans lequel nous vivons, c’est le monde hors le Paradis, dont nous avons été expulsés – et expulsés par qui ? Pour les Gnostiques, il n’y a pas un, Dieu, bon, opposé à un Dieu mauvais, parce que Dieu est mauvais, et c’est lui, sous la forme du serpent, qui nous a tenté et nous a sanctionné. Le bien n’est pas de ce monde, il faut donc en sortir. Mani ne dira pas vraiment autre chose, mais il va faire évoluer ce gnosticisme, en posant néanmoins l’existence d’un Dieu-Bien, en opérant la fusion du Gnosticisme et du Monothéisme. Ce fondateur du Manichéisme, est né et a grandi dans une famille gnostique, dite elkasaïte. Mani s’est considéré comme un second Jésus. Un des fondements du manichéisme est de séparer le monde en deux :le royaume de la lumière, le royaume de la Vie divine, où s'exprime ce qui est de l'éternité ;le royaume des ténèbres, le royaume de la matière, le royaume des « morts », où s'exprime ce qui est de l'espace/temps. Le discours manichéen est très connu, il a été popularisé/mondialisé. Mani prétend qu’il existe une lutte entre les Ténèbres, gouvernées par Satan ou « le Prince des Ténèbres » et de l’autre, la Lumière, gouvernée par Dieu. Dans ce récit, on raconte, par exemple, comment, un jour, les esprits des ténèbres voulurent donner l'assaut au royaume de la lumière. Ils parvinrent en effet jusqu'à la frontière de ce royaume lumineux pour le conquérir. Tout est dit du rapport entre ces deux champs : il s’agit d’une confrontation, sur le modèle d’une guerre. L’objectif de chacun de ces champs/camps est de gagner la guerre, en faisant disparaître l’autre, mais cette perspective n’est envisageable, pour les Manichéens, qu’à la fin des temps. L’apocalypsisme, si vous me permettez ce néologisme, est donc le prolongement et le couronnement du Manichéisme." (…) Or nous savons que le Christianisme, dans son versant catholique, qui a été le versant initial, primordial, après et avant les divisions, a connu son acmé manichéenne, avec l’Inquisition. C’est dans le contexte de divergences théologiques, de schismes/sectarismes, selon les termes accusatoires de l’Église, et dans un contexte de guerre, qu’un Tribunal assumant la charge divine de la valorisation/dévalorisation, s’est mis en place pour traquer et condamner l’hérésie dans la diversité de ses formes. Le présupposé de cette démarche, est qu’il existe une et une seule orthodoxie, et que toute déviance à l’égard de celle-ci est ou une erreur, ou une faute, ou un crime, qu’il faut à la fois sanctionner et stopper. La mono-doxie est fondée sur le manichéisme, la lutte entre le Bien/Dieu et le Mal/Satan. Les fondements chrétiens, dogmatiques-pratiques, de cette détermination de l’hérésie en tant que telle, et de la nécessité de rechercher, enquêter, déterminer et punir, ont été posés lors des premiers siècles du Christianisme, alors qu’existait encore l’Empire Romain, mais la dislocation de cet Empire, l’absence de liens entre des territoires, des peuples, européens, qui dure plusieurs siècles, a empêché toute reprise et tout développement de ce jugement divin et définitif sur tel ou tel. L’hérésie est souvent définie, par l’Église, mais cette définition est réductrice, minimisante au regard de sa pratique, comme «la croyance, l'enseignement ou la défense d'opinions, dogmes, propos, idées contraires aux enseignements de la sainte Bible, des saints Évangiles, de la Tradition et du magistère. » ou comme «la négation obstinée, après la réception du baptême, d’une vérité qui doit être crue de foi divine et catholique, ou le doute obstiné sur cette vérité. » (…)
Comment comprendre ces discours, que l’on peut sans doute appeler des idéologies communautaires ? Il faut les mettre en rapport avec : les conditions de vie des tribus/peuples concernés, leur rapport au monde, leurs structures sociales, inter-familiales, leur situation géo-politique. Le manichéisme est éminemment pratique dans des contextes sociaux-politiques marqués par des divisions en tension, dans un contexte de guerre ou de pré-guerre, puisqu’il permet une préparation mentale spécifique. Il fait le lien entre ce que, dans un système politico-économique aryen, comme Georges Dumézil a pu en exposer les caractéristiques, on appelle les prêtres ou les brahmanes dans le pays source de l’aryanisme, et les guerriers, les combattants. Les premiers motivent les seconds à accomplir leurs actions. Et pour cela, le récit communautaire, épique, qu’il soit cosmique, avec une lutte universelle entre le Bien et le Mal, ou qu’il soit historique, avec un groupe, un peuple, élu, en raison d’une situation spéciale et les autres, est au centre de l’action des prêtres. Il s’agit d’un conditionnement mental total. Sa réussite, au sens de son effectivité, est de rendre possible l’apparition d’hommes-machines, au sens où ils exécutent des intentions et des ordres, sans douter. La conscience est codée de telle manière que le sujet ne voit plus que les tenants et les aboutissants d’une situation dramatique où il va jouer le rôle d’un sauveur, avec d’autres. Le conditionnement a pour objet de convaincre ce sujet-machine qu’il est et le serviteur et le représentant du Bien, et que, sans lui, les actions nécessaires n’auraient pas lieu, et que le monde serait ainsi menacé par le progrès du Mal. Ce récit a été popularisé, mondialisé, par des récits «profanes», littéraires et cinématographiques, au point que la structure du manichéisme est archi connue, évidente, pour des millions de jeunes. Ces acteurs du Manichéisme vivent, pensent et veulent des divisions, humaines, toujours plus nombreuses, avec, au final, la guerre de tous contre tous, alors que nous vivons une époque extraordinaire, totalement nouvelle, de construction de l’Unité des peuples humaines, de l’Unité de la Diversité la plus grande. Comment envisager cette construction de l’Unité ?"