Gabby Petito : l’enfer, c’est le Je sans les autres

Dans la note précédente, vous trouvez la vidéo de Pacôme Thiellement (Blast), à propos de Gabby Petito, cette « youtubeuse-influenceuse », qui a été, on le sait maintenant, assassinée par son petit ami, alors qu’ils traversaient les Etats-Unis, d’est en ouest. Cette note est à lire après avoir écouté Pacôme Thiellement, puisqu’elle en constitue un commentaire, une analyse et un complément. Avec Gabby Petito, qu’est-ce qui nous était conté ? De jeunes américains sont tout sourire. Tout est « super », « fun », « cool ». La pensée positive est là. Mais qu’est-ce qui est positif, qu’est-ce qu’elle positive ? C’est le fait perceptif agréable. C’est bon, c’est beau. On the road again. Ils étaient jeunes et larges d’épaule. Ça roule. Parce que, pendant que « ça roule », on ne travaille pas : pour voyager, même frugalement, il faut des dollars, dans un pays où tout s’achète. Ce qui est cool, c’est de ne pas travailler. En faisant de son voyage son travail : « je » me vends, je vends je. Regardez, écoutez, likez, achetez, mécénez – à nez. On travaille sans travailler. Moloch assure les arrières. Hélas, il prépare au sacrifice : que le sang coule, parce que le sang coule. Pour que nous soyons, il faut que le corps se sacrifie : qu’il fasse le travail, qu’il fasse couler le sang. Mais qu’est-ce qui se vend ? La pensée positive : tout est super, fun, cool, awesome, amazing. Quand on écoute Gabby Petito parler de son petit ami, il est « parfait », il est la huitième merveille du monde, parce qu’il accepte de n’être que la huitième. Et la huitième pose à côté de Gabby, tout sourire, puisque tout est parfait. Mais derrière ces écrans de fumée, il y a la réalité : deux êtres humains qui vivent constamment l’un avec l’autre, et qui ne sont pas, comme personne, parfaits. Le récit Instagrammé est extatique. Mais on sait que derrière, le navire tanguait. Il était un Dieu sur Terre : mais Gabby ne savait pas que les Dieux sont dangereux. Le polythéisme n’a pas oublié cette sagesse : ils sont terribles, ils sont terroristes, ils tuent. Iliade et Odyssée. Interruption des programmes. Le récit s’arrête. Les suiveurs, ces poissons-pilote qui suivent les moindres faits et gestes de leur étoile qui passe dans sa traînée de feu, remarquent, le silence, puis le retour à la parole, étrange, et à nouveau le silence, et le retour à la parole encore, et le silence, et le retour à la parole du seul petit ami. Entre temps, la police américaine est entrée en scène. Plus besoin de regarder une série, vous les avez là. Et ils sont aussi mauvais que dans les séries, quand elles sont honnêtes. Le jour où ils s’approchent du véhicule de Gabby et du petit ami, qu’ils les interrogent, ils l’écoutent, lui, et ils se satisfont de ses explications. De son côté, elle paraît pourtant perdue, délirante. Mais si on devait s’inquiéter pour tous ceux et celles qui tiennent des propos délirants dans ce pays, il faudrait coffrer tout le monde. Asile psy. Apathiques (il faut être George Floyd pour susciter un désir de mort), ils laissent repartir ces deux jeunes white, au-dessus de tout soupçon. On reprend la route. On traverse des déserts – un monde parfait pour des Je qui le sont tout autant. Mais on ne regarde pas ce monde, comme l’explique Pacôme Thiellement. On roule et on est dans ses pensées. Que l’on ne peut photographier : les selfies ne les captent pas, seulement des traces. Et Gabby se tait, définitivement. Et pour cause : elle a été étouffée par Brian Laundrie. Lui réapparaît. Chez lui. La police, poussée par les fans, l’interroge, mais il refuse de répondre. Et la police le laisse repartir. On les a connus plus vindicatifs, plus mordants, plus agressifs. Et il disparaît. Quelques semaines plus tard, ce qui reste de son cadavre est retrouvé dans une réserve en Floride : il a nourri quelques animaux, et il a avoué son crime. Un de plus, de crime, deux de moins. Nous avons des images qui ne montrent rien : comme l’écume des vagues ne dit rien de l’étendue de l’océan et des forces qui font les courants. Super, youpi, cool : rien. Les images ne montrent rien et cachent tout, alors qu’elles s’auto-définissent inversement. Et derrière, il y a cette jeunesse qui se doit d’être heureuse, joyeuse : impératif catégorique. Sourire obligatoire. Et des chats s’il vous plaît – sinon des achats. Sinon, les parents de Brian Laundrie auraient su que leur fils avait… Mais ils se sont tus, ils l’ont protégé : banalité du mal. Pas la peine d’aller chercher dans votre supposé opposé, le « totalitarisme ». C’est le titre du vrai journal qui parle des actualités américaines : la banalité du mal. Un monde où des Je prétendent se constituer en perfection, self-made-men-women. Dont l’idéologie a été définie par Ayn Rand. Les Autres – quels Autres, qui ? Je suis parfait. Je suis : un mensonge parfait.

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