La conscience humaine a cette particularité qu’elle peut se nier elle-même, dans « l’inconscience ». Comme lorsque nous disons à quelqu’un : mais tu es inconscient ! Mais ce que cette personne, dit, fait, elle le fait, « en conscience ». Elle « sait » ce qu’elle fait. Disons qu’elle a une perception suffisante qu’il y a une action qui dépend d’elle, qui relève de sa volonté, de ses choix, et c’est ce qui va permettre de la poursuivre en justice, concernant sa « responsabilité », dont la racine est simple : il faut répondre de ce que l’on a fait, dit. Mais même si les êtres humains « savent » ce qu’ils font, il y a beaucoup de domaines, de situations, où ils, elles, ne « savent » pas ce qu’ils font – ce qui d’ailleurs motive la fameuse phrase christique : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». A un moment où la logique du sacrifice s’enclenche… Cette phrase est souvent citée pour traiter du pardon, pour inciter à. Mais faut-il pardonner ou facilement pardonner ? Est-ce une bonne chose que de pardonner à des inconscients qui pourraient, sans pression sur eux, recommencer ? Le propos de cette note n’est pas de nous entraîner dans des débats liés aux foi religieuses. Il suffit de rester « pragmatiques », de rester près des choses. Dinah a subi plusieurs formes de stigmatisation, conjuguées. Aller à l’école est devenu un enfer. Son suicide a eu pour objet de mettre fin à cet enfer, un acte auquel certains de ses harceleurs l’incitaient. Sa supposée homosexualité, encore indéterminée à cet âge, a été invoquée pour justifier qu’elle en vienne à un tel acte, en mêlant Dieu à cela – comme si cela avait un sens que le supposé créateur de l’Univers et des vies ait quelque chose à faire de la manière dont des êtres humains se témoignent de l’affection (quand il y a consentement réciproque). En attendant, Dinah est morte, et ses harceleurs sont en vie et en liberté. Une enquête a été ouverte. Mais faut-il attendre ses conclusions ? des poursuites judiciaires ? Harceler les harceleurs serait un paradoxe. Mais les mettre en cause simplement et clairement, qu’il s’agisse de ceux qui ont une responsabilité dans la mort de Dinah, mais aussi dans la mort d’autres enfants et qui, actuellement, sont en train de harceler des enfants qui, du coup, sont en danger, c’est une nécessité, puisqu’il y a une apathie sociale sur ce problème.
On le sait (mal) : une des forces humaines réside dans le fait de dépasser les limites de sa conscience, en se « mettant à la place » des autres. C’est ce qui s’appelle l’empathie.
Cette capacité, des études scientifiques ont démontré qu’elle existe également avec d’autres mammifères, comme les singes, les éléphants, les dauphins – des espèces qui sont capables de ressentir et d’exprimer des sentiments, y compris celui du deuil, de la souffrance pour la perte de personnes aimées. Mais si l’humain dispose de cette force, dont le déploiement, permanent, fonde et la littérature et le cinéma (que cela soit pour les acteurs ou pour les spectateurs), il est établi depuis longtemps que des humains souffrent d’un problème, ou, d’absence totale d’empathie (cas rares), ou de moindre empathie, avec le fait de ne pas être capable de percevoir la souffrance des autres, voire, de s’en moquer, voire de prendre plaisir à celles-ci, quand il s’agit de souffrances destructrices (puisque le sportif qui « se fait mal » par son effet souffre aussi mais il le fait volontairement, il le fait pour son bien et il se fait aussi du bien). Les humains qui ont des problèmes avec cette loi vitale sont peu nombreux – en proportion de population, mais ils sont là, et ils interagissent avec celles et ceux qui n’ont pas ce problème. Identifier ce problème, en tant que TEL, devrait inciter des professionnels, de la psychologie, de la Philosophie, à réfléchir à sa compréhension, aux connaissances dont nous disposons déjà et aux travaux à mener pour en faire apparaître d’autres, aux actions à mener pour aider ces « souffrants », qu’ils s’ignorent ou non – parce que, être privé de cette capacité, est un « pathos », une souffrance, une autre forme de souffrance. Mais en attendant que, identifié par plusieurs, officiellement, en tant que TEL, et que ces travaux soient menés, il nous faut agir pour protéger les enfants, notamment du harcèlement. Que faire ?
Dans une précédente note, plusieurs actions ont été proposées aux parents, aux familles, des enfants harcelés. Les responsables et coupables de harcèlement doivent être interpellés pendant qu’ils pratiquent cette forme spécifique d’agression, pour ne pas attendre qu’il y ait encore des morts ou des blessés. Il faut que cela soit public, pour qu’il y ait une pression suffisante. Mais comment faire pour éviter que cette interpellation soit elle-même trop agressive, risque d’entraîner des actions violentes de part et d’autre ? LE moyen, humain, le plus efficace pour le cheminement de cette conscience, même de la part des harceleurs, est le rire – inspiré par de l’humour. Le véritable humour repose, lui aussi, sur cette « empathie », cette capacité à se mettre à la place des autres, quels qu’ils soient. Dans la vidéo ci-dessous, la Bajon fait le lien entre les citoyens et cet ancien élu, Balkany. Elle se met à la place des citoyens, comme de Balkany, et en faisant le lien entre les positions des uns et des autres, elle incite à évaluer les propos, les justifications, les actions, des uns et des autres.
Il faudrait donc concevoir des actions publiques dans lesquelles, des humoristes, connus ou non, interviendraient; des documents publics, dans ce même registre, évoquent le harcèlement et mettent en cause les responsables et coupables. On peut crier notre haine. Cela peut faire du bien, momentanément, mais on ne construit pas une REPONSE ACTIVE à ce type d’agression. Il nous faut donc et nous creuser la tête pour concevoir ces actions, et solliciter des citoyens, capables de, volontaires. Un autre moyen serait d’utiliser un « miroir ». Les copies d’écran de messages envoyés par des harceleurs à leurs victimes s’inscrivent dans cette mise en lumière de l’horreur, banale, humaine, par laquelle la parole humaine est une arme, comme le dit actuellement un rhéteur qui semble ignorer la profondeur ambivalente de cette expression, « la parole est une arme »… Mais là, il s’agirait d’utiliser le miroir dans l’espace public, notamment lors des hommages aux victimes (en faisant attention à leur usage, le verre est une chose fragile, et quand il se casse, il est dangereux). Afin d’adresser un message aux harceleurs : regardez-vous. Voyez qui vous êtes, par ce que vous faîtes. Et il n’y a pas de fatalité à ce choix que vous faites de faire de vous un possible tueur (ou tueuse) par procuration.
L’action de surveillance des entreprises de « réseaux sociaux » sur les propos des uns et des autres est à double tranchant : si elle apparaît sensée, parce que possiblement très efficace (ces entreprises disposent, en live, de ce que les uns et les autres disent), elle les institue en tant que super-surveillants des propos des citoyens, et on sait les risques induits par cette position – qui, de fait, est déjà la leur.
Au-delà de ce sujet spécifique, ce sont « les droits », effectifs, des enfants, qu’il s’agit de prendre en compte, d’évaluer et sur lesquels il faut agir. C’est ce qu’incite de manière très active, Lyes Louffok, qui a vécu, en tant qu’enfant, des maltraitances (le mot est souvent un euphémisme)
Le cumul des préjudices peut être impressionnant : il y a les parents ou les familles qui sont responsables et coupables de maltraitance sur les enfants, il y a ce que l’Etat, via l’institution judiciaire et les organismes de gestion des enfants sortis de leur famille, ajoute lui-même par d’autres préjudices. Celles et ceux qui ont le plus besoin de protection se retrouvent être celles et ceux qui en ont le moins. Ce n’est pas le seul domaine dans lequel on marche sur la tête en France, mais celui-ci l’est à un niveau sans doute inégalé. A plusieurs reprises depuis la naissance de ce blog, il y a eu des publications sur ce sujet, des enfants, des droits effectifs des enfants, de la protection de l’enfance. Il faut donc redire, d’une manière synthétique, les conclusions auxquelles il faut nécessairement aboutir, quand on prend au sérieux ce sujet : un, un enfant ne doit pas être considéré comme une propriété d’adultes, de ses parents, biologiques ou non. Il est essentiel que, dans le droit, un enfant soit considéré comme une émanation autonome de la collective humaine dans laquelle il est né et dans laquelle il grandit, qu’il est donc l’enfant de toute cette collectivité, et que des parents, biologiques ou non, ne sont que des tuteurs dont le droit à être des tuteurs est relatif à leurs capacités, à leur volonté, aux bienfaits qu’ils apportent à l’enfant – et, sinon, leur tutelle peut être révoquée définitivement, DOIT être révoquée définitivement. Il faut absolument revenir sur un présupposé, philosophique, politique, juridique, dans le système actuel : la présomption de capacité des adultes à être des parents ou des tuteurs. Il est quand même impressionnant que, dans un système comme celui de la France, il soit nécessaire d’avoir un permis pour conduire une voiture et aucun « permis » pour avoir un enfant. Il ne s’agit pas d’induire un tel permis à des moyens financiers : on sait que des familles aisées sont des familles maltraitantes, de différentes manières. Et inversement, des familles modestes sont de remarquables cadres d’épanouissement et de développement des enfants. Mais il s’agit d’examiner la réelle volonté d’adultes d' »avoir » des enfants, c’est-à-dire d’être capable de les élever. Si un des adultes souffre de problèmes personnels quant à sa capacité empathique envers les autres, lui permettre, sans le moindre contrôle, d’avoir des enfants, est une folie, parce qu’elle expose un enfant à des violences, et c’est ce qui se passe, quotidiennement, dans le monde. Ce sont des sujets difficiles. La mise en place de tels moyens de vérification et contrôle doit se faire d’une manière extrêmement subtile, pour être efficace, pour ne pas priver des adultes qui peuvent être des parents ou des tuteurs, de l’être, mais aussi pour avoir le courage de dire clairement à des adultes qu’ils n’en sont pas capables, ou qu’ils doivent faire leur preuve, avec des enfants qui ne sont pas les leurs, sous la surveillance d’autres adultes. Pour l’heure, les peuples font la sourde oreille sur ce sujet. Heureusement, il existe, de facto, des cadres collectifs de gestion et de surveillance du développement des enfants, et, en France, les écoles en sont un des principaux. Mais la mort de Dinah prouve que ces cadres collectifs sont défaillants : là, le problème ne venait pas de ses parents, mais d’autres jeunes gens et d’adultes qui ne faisaient pas leur travail de surveillance et de protection, dans l’école même.