Les attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015 ont provoqué en France un grand moment de communion nationale. La peine, la compassion, la stupeur, la peur et/ou la colère, ainsi qu’une couverture médiatique inédite des événements, ont solidarisé en quelques heures des dizaines de millions de personnes, en France mais aussi dans beaucoup d’autres pays, autour de trois mots semblant soudainement symboliser la résistance du Bien contre le Mal ou du sens contre le non-sens : « Je suis Charlie ». De ce moment aussi rare qu’intense de cristallisation émotionnelle de la conscience collective sont issus de multiples discours et de multiples actions collectives que nous ne commenterons pas ici. Pas plus que nous ne commenterons les diverses formes de réactions et d’instrumentalisations que ce moment, ces discours et ces actions ont suscité et continueront à susciter. Il nous semble en effet que le rôle des intellectuels n’est pas de redire avec des mots plus ou moins savants ce que l’émotion collective exprime déjà. S’auto-instituer en commentateur, a fortiori en porte-parole, d’une émotion (devenant ainsi le défenseur d’une cause quelle qu’elle soit) n’est pas intéressant. Le rôle des intellectuels est bien plutôt de rompre avec les registres événementiel et émotionnel, qu’ils soient consensuels ou conflictuels, pour tenter d’apporter quelques éléments de débat collectif en réponse à la question qui a inévitablement et légitimement jailli une fois la stupeur passée : « Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? ». On le fera ici autour de quatre séries de questions.
1. Sur la façon dont l’État nous protège (ou pas) des menaces terroristes
Une première question, présente dans le débat public, est celle des « failles » de l’action policière. Comme il y a trois ans, en mars 2012, après les actions terroristes de Mohammed Merah à Toulouse, nous avons rapidement compris que les terroristes qui viennent de frapper étaient très bien connus des services de police et de justice et par conséquent que leurs actes ne peuvent pas, ou du moins ne devraient pas, constituer une surprise. Invités à s’expliquer, les membres de la hiérarchie policière répètent inlassablement une défense qui tient en trois arguments : 1) on ne peut pas surveiller tout le monde lors même qu’il y a de plus en plus de monde à surveiller (les candidats au djihad), 2) nous avons déjoué de nombreux autres projets d’attentats, 3) le risque zéro n’existe pas. Si les deux derniers arguments sont incontestables – encore qu’ils agissent souvent comme de simples arguments d’autorité -, le premier l’est beaucoup moins. Chacun a pu en effet constater la rapidité avec laquelle le gouvernement a pu mobiliser quelques 90 000 policiers et gendarmes pour « traquer » deux terroristes. Mais, sur un tout autre registre, chacun (surtout en zones de gendarmerie) peut aussi constater combien il fait l’objet d’une surveillance, d’une dissuasion et d’une répression quotidiennes en tant qu’automobiliste.
La question essentielle qui se pose n’est donc pas celle du manque de moyens (même si la RGPP est belle et bien passée par là entre 2007 et 2012) mais des choix de priorité qui sont faits dans l’emploi des moyens. Or cette question n’est étrangement jamais posée. Si elle l’était, elle amènerait à débattre de la définition même de notre sécurité (celle de nous autres, les citoyens), des objectifs fondamentaux assignés aux forces de l’ordre et des stratégies mises en œuvre pour atteindre ces objectifs. Au passage, elle amènerait à mettre en question la domination croissante depuis une quinzaine d’années d’un courant de pensée politico-technocratique qui considère que le terrain peut être déserté, que la police de proximité est une perte de temps et que le renseignement humain de proximité peut être
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