La scène curieuse se passe l’été dernier, un week-end de juillet à Saint-Nazaire-le-Désert, village idyllique et reculé de la Drôme, niché au bout d’une longue route tortueuse. Dans un pré entouré de montagnes, des jeunes gens, en shorts et pieds nus, visent un engin volant et s’entraînent à abattre la cible à l’aide de tout ce qui leur tombe sous la main. Depuis quatre ans, une communauté vibrante d’artistes, hackeurs et bricoleurs s’y retrouvent pour le festival Désert numérique, où s’élabore un travail collaboratif et critique autour des technologies. Pour cette performance intitulée BDDWS, bringing down drones with stones, les villageois étaient appelés à terrasser des drones (sous la forme allégorique d’un petit avion télécommandé équipé d’une caméra) en leur jetant des cailloux. Geste poétique, dérisoire et décalé dans le contexte champêtre et sous ces cieux sans nuages.
Travaux pratiques
«C’est un appel à mettre en mouvement nos corps, par le simple acte de balancer des bouteilles d’eau, des chaussures, des cailloux, pour nettoyer notre espace aérien de ces technologies intrusives», explique Alejo Duque, artiste colombien grandi à Medellín, où il a mis en place un réseau communautaire sans fil et ouvert un Hacklab. Initiateur du projet avec Cyrille Henry et Lisa Cocrelle, il le présente comme une «tentative de récupérer un contrôle social sur cette technologie qui a tué, depuis 2004, entre 2 000 à 3 000 personnes rien qu’au Pakistan». Il ajoute : «Jeter un caillou est l’une des plus anciennes formes de résistance. Briser quelque chose est une manière d’en reprendre possession.»
La performance est volontairement «pauvre, low-tech et même sale, parce que c’est depuis le sol que nous réclamons notre liberté. Ce n’est pas sur une pétition en ligne, ou un hashtag, ou un bouton "like", qui ne sont que des placebos pour une société endormie». Les images interceptées par la caméra GoPro fixée sur l’avion miniature étaient retransmises en direct sur les postes de la micro-station de télé pirate déployée à l’occasion du festival, permettant de (se) voir à travers les yeux d’un drone. Pour l’artiste, ce n’est plus l’heure des manifestes, mais des travaux pratiques, afin de comprendre comment fonctionnent ces dispositifs, apprendre à connaître leurs vulnérabilités, tout en sensibilisant à l’usage accru des drones par les gouvernements à des fins commerciales ou de contrôle.
Prochaine étape, donner à entendre les trajectoires de ces objets volants lorsqu’ils fendent l’air. «Pendant la Seconde Guerre mondiale, la fusée V2, qui arrivait à une vitesse supérieure à celle du son, était silencieuse. Ce qui participait à son pouvoir de terreur. Aujourd’hui, l’absence de son est encore plus alarmante. Une attaque de drone ne va pas être remarquée et celui qui l’active est délocalisé derrière un écran d’ordinateur à des milliers de kilomètres de là», dit Alejo, stigmatisant la lâcheté de cette guerre à distance, asymétrique, où l’agresseur n’a jamais à subir les conséquences de ses actes.
Les «Drone Shadows» de James Bridle, qui reproduit à la craie et en taille réelle les silhouettes des engins. Photo James Bridle. Booktwo.org
Le projet en évoque un autre, le BITplane, réalisé il y a dix-sept ans. Deux artistes ingénieures australiennes du Bureau of Inverse Technology (BIT) avaient équipé un avion télécommandé d’une caméra vidéo et d’un émetteur pour survoler la Silicon Valley, temple de la high-tech, retransmettant en live le flux sur une chaîne locale du câble. Leur proto-drone transgressif, qui violait les règlements télécoms et aériens, exposait déjà les strates de
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