Dès 1990, l’Elysée est informé du projet de génocide – Page 1 | Mediapart

« Déclencheur ». Un mot peut parfois brouiller l'histoire. Il est une habitude d'écrire que l'attentat contre l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, abattu de deux tirs de missiles le 6 avril 1994, est le « déclencheur » du génocide des Tutsis qui allait faire en cent jours de 800 000 à 1 million de morts. C'est effectivement le signal du début des tueries de masse puisque aussitôt l'attentat connu, la garde présidentielle et les milices hutues entament les massacres à Kigali.

Mais ce signal n'est qu'un moment d'un long processus de construction d'un État génocidaire entamé plusieurs années avant. Le génocide n'est pas un massacre soudainement provoqué par un peuple hutu en colère après l'assassinat de son président, une sorte de dérapage monstrueux d'habituelles tueries interethniques, comme ont voulu le faire croire les responsables politiques français en charge en 1994. Il est l'aboutissement d'une planification méthodique, pensée, voulue, organisée par le régime d'Habyarimana. Ce qui pose directement la question du rôle de la France qui, depuis 1990, n'a cessé de soutenir, d'armer, de former les futurs génocidaires, jusqu'à combattre à leurs côtés en 1992 et 1993 contre la rébellion tutsie du FPR conduite par Paul Kagamé. Jusqu'à 1 000 soldats français ont été déployés au Rwanda au début des années 1990.

C'est toute la qualité du livre que publient Benoît Collombat et David Servenay, « Au nom de la France », guerres secrètes au Rwanda (éditions La Découverte), que d'explorer ces quatre années qui ont précédé le génocide. Les deux journalistes travaillent depuis des années sur le Rwanda, le premier ayant réalisé de nombreuses enquêtes pour France Inter, le second ayant déjà publié un livre important, en 2007 avec Gabriel Périès, Une guerre noire, enquête sur les origines du génocide rwandais (1959-1994).

Ce que révèle ce livre, c'est d'abord l'ampleur de l'engagement français auprès des troupes du régime dictatorial d'Habyarimana. Formation, armement, construction d'une gendarmerie rwandaise qui sera ensuite l'instrument du quadrillage de la population et de sa mobilisation pour participer aux massacres, opérations spéciales, assistance technique dans les phases de combat : à partir de 1990, l'armée française s'engage crescendo pour sauver un régime qui, en parallèle, met en place les structures qui permettront le génocide.

Or, et c'est là le point clé, la France ne peut ignorer ce projet génocidaire. Car, dès 1990, les alertes sont faites. Elles se multiplieront ensuite, venues de militaires, des agents de la DGSE, des diplomates et des ONG. En 1993, un rapport de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) avec trois autres organisations humanitaires documente parfaitement les massacres survenus en 1992, premier acte du génocide. Que fait la diplomatie française ? Elle s'inquiète de son retentissement médiatique ; la politique française restera inchangée… Les alertes se font-elles encore plus détaillées, lorsqu'il est, par exemple, signalé l'achat de cargaisons entières de machettes  à la Chine ? Il ne se passe rien de plus.

C'est ce naufrage politique français que documente le livre de Benoît Collombat et David Servenay. Le choix initial de François Mitterrand n'est jamais contesté ni même questionné durant ces quatre années qui précédent la catastrophe. À partir de 1993, le régime de cohabitation ne vient pas plus remettre en question cette politique. François Mitterrand, sa cellule Afrique, son fils Jean-Christophe Mitterrand, Hubert Védrine, Édouard Balladur, François Léotard, Alain Juppé, son directeur de cabinet Dominique de Villepin, et l'état-major de l'armée, tous persistent dans leur soutien au régime criminel. Un seul homme prend ses distances en envoyant deux notes très critiques à François Mitterrand : Pierre Joxe, lorsqu'il est ministre

via www.mediapart.fr

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