Décryptage du système Rifkin – Page 3 | Mediapart

Dépolitisation

A ces trois idées-force du livre de Rifkin correspondent malheureusement au moins trois points faibles qui en limitent considérablement la portée, au risque de faire passer un projet enthousiasmant pour, au mieux, un doux rêve, au pire un arrière-goût de mensonge.

Le premier est l’optimisme béat qui suinte de l’ouvrage et frôle souvent la supercherie rhétorique, sur le mode du « regardez tout ce que vous n’avez pas envisagé qu’il existerait et donc croyez à tout ce que je peux vous dire qu’il existera. » C’est particulièrement vrai des énergies renouvelables au sujets desquelles l’essayiste affirme : « Et si je vous avais dit, il y a 25 ans : dans un quart de siècle, un tiers de l’humanité communiquera sur d’immenses réseaux mondiaux regroupant des centaines de millions de personnes – en échangeant des fichiers audio, vidéo et texte – toutes les connaissances du monde seront accessibles à partir d’un téléphone portable, n’importe quel individu isolé pourra envoyer une idée neuve, présenter un produit original ou transmettre une réflexion à un milliard de personnes simultanément, le tout à un coût proche de zéro. Vous n’y aurez pas cru une seconde. Pourtant, tout cela, c’est maintenant la réalité. Mais si je vous disais : dans 25 ans, l’essentiel de l’énergie nécessaire pour chauffer votre domicile et alimenter vos appareils, faire tourner votre entreprise, conduire votre véhicule et faire fonctionner toutes les composantes de l’économie mondiale sera probablement presque gratuit ? »

En raisonnant ainsi, tous les problèmes actuels trouvent une solution d’apparence simple, mais qui s’avère souvent simpliste. « L’économie circulaire » promet d’éviter tous les gâchis, bien réels, de la société industrielle. Les MOOC (Massive Open Online Courses) sont des réponses ad hoc « aux millions d’étudiants qui ne peuvent plus s’offrir un diplôme universitaire nécessitant quatre ans d’études, qui peuvent coûter jusqu’à 50 000 dollars par an. » L’automatisation et les gains de productivité, mettant tout simplement « fin au travail », permettent de considérer le chômage comme un problème négligeable puisque plus personne n’a besoin de s’activer trop longtemps pour produire les biens et services nécessaires à cette « société de l’abondance. » Les avis des consommateurs rendent la publicité caduque. Le Big Data permet aux patients de piloter leurs soins, et ainsi de suite…

Cette vision radieuse et ravie pourrait certes être un vecteur de mobilisation des énergies et permettre de « vendre » une sortie du capitalisme qui ne soit pas douloureuse ou catastrophique. Mais il faudrait pour cela qu’elle évite de buter à plusieurs reprises sur le second gros problème de l’ouvrage de Rifkin, à savoir sa vision techniciste, voire scientiste, de la marche du monde. Son déterminisme technologique et sa conviction que « l’infrastructure construit la société » l’entraînent dans, au moins, deux impasses.

La première est de croire que la technologie résoudra à peu près tous les problèmes : une manière de penser le monde dont on a vu les écueils. Quand on sait à quel point Internet est dévoreur d’énergie (voir notamment la série de Jade Lindgaard sur La part d'ombre du numérique) il est en particulier étonnant que Rifkin pense que l’Internet des objets soit une panacée et juge que répéter sans cesse que nous sommes à l’aube d’une énergie renouvelable, abondante et gratuite suffise à faire advenir cette nouvelle société…

via www.mediapart.fr

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