En quelques rafales, c’est un esprit qui s’en est allé, ou qui a été sacrément amoché. L’esprit Charlie.
© Manu Larcenet
Parmi les douze personnes assassinées mercredi 7 janvier dans et devant les locaux de l’hebdomadaire, il y avait la fine fleur des dessinateurs de presse français. Et deux générations tombées sous les balles des terroristes. Wolinski, 80 ans, Cabu, mort 6 jours avant ses 77 ans et Honoré, 73 ans. Puis Charb, 47 ans, et Tignous, tout juste 58 ans. Tous des dessinateurs confirmés, dont la plume était au service de Charlie Hebdo depuis des dizaines d’années.
Wolinski et Cabu, reconnus comme des maîtres par les dessinateurs du monde entier, animaient les pages de Charlie depuis son premier numéro en 1969, après celles de son ancêtre Hara-Kiri dès son lancement en 1960. Honoré, Charb et Tignous avaient, eux, rejoint l’aventure à l'occasion de la seconde naissance du magazine, lorsqu’il a été relancé en 1992 après onze ans de mise en sommeil. Avec l’attentat, se tourne une longue page d’un certain journalisme à la française.
« Il n’y a pas à tortiller, c’étaient les meilleurs. Des bosseurs forcenés, tous, une bande de talents inouïe », salue bien bas Catherine Sinet, la femme du dessinateur Siné. La rédactrice en chef de Siné Hedo puis Siné mensuel depuis 2009, ancienne de l’émission Droit de réponse de Michel Polac, connaissait ces belles plumes « depuis toujours » et les a fréquentés pendant cinquante ans. « Ils ont apporté, puis entretenu un esprit nouveau. Avec L’Enragé [publication restée mythique, animée par Siné et l’éditeur Jean-Jacques Pauvert durant l’année 1968, ndlr], ils ont été les représentants de cet esprit inouï de liberté qui a commencé à souffler juste avant Mai-68. On pouvait enfin aborder en rigolant des sujets dont on ne parlait jamais, à commencer par l’écologie. » Et le faire d’une façon qui n’avait jamais été tentée avant de façon aussi systématique.
Les années Charlie, recueil paru en 2004 aux édition Hoëbeke
Car comment l’ignorer, il y a un ton, une patte Charlie. Humour très noir, écologie, antimilitarisme, combat antireligieux, érotisme insidieux ou claquant au vent, mauvais goût et mauvaise foi affirmés comme des valeurs cardinales, souci de choquer, encore. Et pour incarner et dessiner ces traits devenus autant de traditions, se sont succédés au fil des ans les crayons les plus divers. Mais paradoxalement, estiment aujourd'hui leurs compagnons de route ou certains des observateurs les plus attentifs de l'évolution du dessin en France, ce journal fait avant tout par des dessinateurs n’a pas réellement fait école. L’esprit des fondateurs, des deux époques, a-t-il été transmis au-delà de ses pages ? Souffle-t-il ailleurs ? Rien n’est moins sûr.
Charlie Hebdo en 1971
« Ces gens-là avaient des maîtres, chez Mad Magazine aux États
via www.mediapart.fr