Sous l’inspiration des oeuvres de Platon, et à partir de ce que fut le projet et souvent, la réussite, des cafés-philos, à savoir la valorisation du dialogue (dont il faut, par ailleurs, fixer ce que sont, les présupposés, les principes constitutifs, les performances, les problèmes structurels), il a, hélas, fallu interpréter l’Histoire de France, de 1998 (année du décès de Marc Sautet) à aujourd’hui, 25 ans plus tard, par le triomphe du monologue, et notamment le monologue des « Illuminés », de ceux qui savent tout sur tout, sur tous. Légitimés (et c’est pour cela qu’elles existent), par des élections nationales qui déterminer qui est en situation de majorité à l’Assemblée Nationale, qui peut former le gouvernement, des élus, associés à des hauts fonctionnaires, des conseillers, ont ainsi la charge de la « conduite de la politique de la nation », au sein d’un Etat dont le symbole omniprésent est le mur derrière lequel les uns et les autres, travaillent, opèrent, parlent. Quelques mois avant que Marc Sautet ne décède, Lionel Jospin accédait à la fonction de premier ministre, à la tête d’un gouvernement composé par sa majorité. De 1997 à 2002, il a gouverné sur la base de ses préférences, orientations, décisions prises après des délibérations (au niveau gouvernemental ou avec d’autres élus), mais sans écouter ce que lui disait nombre de citoyens, avec lesquels il n’avait pas de rencontres régulières. Ministre de l’Education, Claude Allègre fut un mammouth dans un magasin de porcelaine et fit des dégâts, au sein d’un corps de métiers pourtant largement acquis au PS, le parti de M. Jospin. Une pratique que jamais les partis de droite n’ont jamais fait et ne feront, à savoir s’en prendre à une partie de son électorat, physique. De moins en moins « socialiste » (elle le fut si peu), la politique du gouvernement devint de plus en plus libéral, sous l’influence d’un Dominique Strauss-Kahn, cheval de Troie du capitalisme financier. Symbole le plus tragique de ces 5 années « aux responsabilités », quand, quelques jours auparavant, un remarquable journaliste (John Paul Lepers), bien renseigné, demanda à Lionel Jospin, « Imaginez un instant, monsieur le Premier ministre – monsieur le candidat – que vous ne soyez pas au second tour. Pour qui voteriez-vous ? », celui-ci répondit par un rire franc, en évacuant cette hypothèse, en disant « Non, j’ai une imagination normale, mais quand même tempérée par la raison. Donc… ». John Paul Lepers interrogea cette certitude : « Donc c’est impossible ? ». Lionel Jospin conclut : « Ne disons pas ça, mais ça me paraît assez peu vraisemblable, hein ? Bon. Donc on peut passer à la question suivante peut-être ». Et s’IL AVAIT ECOUTE CETTE PAROLE, qui, outre sa rationalité, se manifestait tel un signe du destin ? S’il avait perçu que ce risque évoqué l’était parce que la menace pesait ? Un dernier discours de fin de campagne aurait-il pu éviter le désastre ? Parce que le 21 avril 2002 est devenu LE tournant de la vie politique en France. Un désastre qui fut aussi conditionné par la montée en puissance d’un autre monologue, le monologue raciste, alimenté par des médias « en mission », comme cela fut le cas d’une manière emblématique, tragique et scandaleuse, par les JT de TF1 qui ont précédé le premier tour et qui semblaient valider les commentaires du candidat-président Jacques Chirac et du candidat de l’extrême droite, Jean-Marie Le Pen, sur « l’insécurité ». Bien que, le soir du premier tour, le bloc de la gauche fasse plus de 30%, les candidatures dissidentes captaient des voix dont l’absence fut fatale à Lionel Jospin, mais si ces candidatures existaient, c’est parce que Lionel Jospin eut l’arrogance de croire que dialoguer avec les figures de ces candidatures n’était ni nécessaire ni bon. Les battus « républicains » du soir du premier tour décidèrent, comme Noël Mamère, de rallier immédiatement la candidature Chirac, sans négociations, sans conditions, et le plébiscite qui s’ensuivit fut utilisé par l’encore élu pour engager une nouvelle politique, synthèse de droite et d’extrême-droite (en remerciement des votes de la gauche sur sa personne).
De 2002 à aujourd’hui, nous pourrions développer dans un même texte les éléments qui démontrent l’existence de ce monologue des dirigeants français, mais une liste suffit.
- volonté de changer en profondeur le droit du travail par l’allongement de la durée d’essai, équivalente à la durée du contrat (maximum, 2 ans), avec le CNE/CPE : refus du gouvernement de céder, d’annuler sa réforme, manifestations massives, validation de la loi ET interdiction de l’appliquer
- référendum constitutionnel de 2005 : soutien politique et médiatique au oui, les paroles de contradiction inaudibles ou peu audibles, et pourtant, une réponse négative, le refus de ce traité. Et après ce rejet, les dirigeants français, avec les dirigeants européens, ont décidé de faire adopter l’essentiel de ce texte rejeté par la voie parlementaire, avec l’adoption du traité de Lisbonne.
- réformes libérales permanentes, sous les présidences Chirac, Sarkozy, Hollande
- réforme des retraites sous la présidence Sarkozy : manifestations massives, refus du gouvernement de céder, etc
- réformes libérales du droit du travail sous la présidence Hollande : entre autres, loi El Khomri, rejetée par la population, imposée par le gouvernement Valls par 49.3
Et ce ne sont là que les éléments les plus saillants.
Et aujourd’hui, nous venons de connaître une énième répétition de cette logique, avec la loi sur de réforme sur les retraites, dans une confrontation Etat-gouvernement et population, d’une ampleur encore plus importante. Droit dans ses bottes, son pantalon, sa chemise, etc, le président a maintenu sa décision, du début à la fin, et aujourd’hui encore. Pour démontrer qu’il ne se laisse pas impressionner, il opère des déplacements où il est hué, vilipendé, et même insulté. Et quand il est face à une citoyenne, un citoyen, il ne s’engage pas dans un dialogue, mais martèle ses certitudes constantes, notamment sur la « nécessité » de cette réforme, bien que tous les spécialistes du sujet, des médias sérieux, des institutions savantes, aient démontré qu’il s’agit là d’une fiction ou d’un mensonge.
En soi, aucun monologue n’est, dans son principe, mauvais : tenir un discours, c’est avoir quelque chose à dire, et il y a des monologues, sensés, importants, brillants même. Le problème de la logique mono-logique française est que ces monologues sont fermés à la réponse ET qu’ils ne sont pas brillants, ni dans leurs formes, ni dans leur sens.