Dès qu’un projet de réforme de l’organisation scolaire est rendu public, promu, les professionnels de l’enseignement de la Philosophie sont, à priori, et, pour beaucoup, de fait, interpellés, parce que c’est de la pensée philosophique que les premières écoles, en Grèce, sont venues, avec, l’Académie, puis le Lycée, plusieurs siècles avant la fameuse impulsion en la matière attribuée à Charlemagne. C’est du dynamisme socratique et de la rigueur platonicienne que la première École a vu le jour, avec, l’usage d’un temps libre consacré aux premières études objectives, déterminées par un objet, qu’il s’agisse des mathématiques, de la Géographie, de la rhétorique, etc. L’Académie pourrait encore exister (et de fait, elle est ressuscitée, sous une forme internationale, non formalisée), si un Empereur romain devenu chrétien n’avait pas considéré que le monde allait se porter mieux en fermant cette légendaire école, laquelle a vécu pendant plusieurs siècles. Avant qu’elle ne retrouve un chemin dans nos écoles modernes, les Universités européennes au Moyen-Age lui ont permis de retrouver vie, et des individualités, par leurs travaux, leurs œuvres, lui ont donné un écho, qui a confirmé sa première Histoire, en Grèce, avec une liberté de penser, en acte. Mais, pour qu’elle devienne une matière à part, entière, il faut attendre l’époque moderne, avec les premiers professeurs, notamment allemands, avec Kant, Hegel. On le sait : avec le Lycée et le baccalauréat, en France, la «Philosophie» est devenue une discipline, en soi, avec ces professeurs historiques, comme Alain, Sartre, et tant d’autres, mais ce statut a été, de son introduction au Lycée jusqu’à aujourd’hui, fragile, étrange. C’est que, là où les autres disciplines s’apprennent dans des temps longs, la Philosophie est restée, jusqu’à aujourd’hui, attribuer à la seule Terminale. En 8 mois, les élèves doivent comprendre et mettre en œuvre les processus cognitifs, théoriques et pratiques, pour, in fine, rédiger une dissertation, ou un commentaire de texte. Dans leur Histoire personnelle, «la Philosophie» est une comète qui passe dans le Ciel de leur conscience et disparaît. Ils peuvent en être marqués durablement, quelle qu’en soit la manière, ou avoir acquis une dent définitive contre une pensée qui aurait rendu les choses plus obscures, plus incompréhensibles qu’elles ne le sont déjà, pour certains élèves. Avec le projet de réforme, cette «magnifique solitude» de la Philosophie, avec la seule classe de Terminale, cesserait, avec une néo-filière, «Humanités, Littérature & Philosophie», à côté d’autres «enseignements de spécialité», comme «Littératures, Langues et Cultures de l’Antiquité». Dans ce projet, ce qui est surprenant, c’est le nombre de ces «Spécialités», qui, dans les plus petits lycées, pourraient conduire certaines classes à connaître des effectifs très faibles, en comparaison d’autres, et, on le sait, plutôt que d’avoir des effectifs très faibles, des établissements ne proposeraient pas certaines «spécialités». Un des arguments est que cette nouvelle architecture permettrait de «simplifier une organisation trop complexe» alors que la lecture de cette architecture laisse comprendre, au contraire, une nouvelle complexité, pour tous. Pour la Philosophie, le projet ne change pas grand-chose, dans la mesure où, même si un début d’enseignement pourrait exister en première, dans la spécialité, elle en resterait par ailleurs à ses caractéristiques actuelles, plus une exception à cette règle. Et si dans un tel changement, cette absence de véritable changement était, pour la Philosophie, le problème ?
Pour d’autres, ce nouveau Lycée constitue un espoir : les Arts, l’Informatique, sont, pour la première fois, reconnus et valorisés, et il faut s’en réjouir. Pour les professionnels de la Philosophie, il y a une étrangeté : l’écart entre la valorisation, publique, officielle, de la Philosophie, notamment par le Ministre actuel, et, avec la disparition de la filière L, où, pour la Philosophie, les élèves bénéficiaient d’une durée de 8 heures hebdomadaire, le recul jusqu’à 4 heures d’enseignement, pour toutes les spécialités, et, dans la désignation de la seule spécialité où la Philosophie apparaît, le fait qu’elle soit en situation seconde, alors même que la Littérature est présente dans d’autres spécialités, mais aussi que, contrairement à une proposition initiale, il n’y a pas d’enseignement de la Philosophie introduit en lycée professionnel, ce qui maintient une situation de discrimination. Et quand, pour les Mathématiques, il est possible de suivre une spécialité «expertes», il n’en va pas de même pour la Philosophie. Donc, si le projet actuel n’engage pas nécessairement et évidemment une puissante et inédite régression, il ne fait faire aucun progrès à la situation de l’enseignement de la Philosophie, et, avec une épreuve en juin, et un pourcentage très faible de la note de cette épreuve pour un baccalauréat qui sera largement joué avant, cet enseignement se voit même valorisé/méprisé. Sur ce point, la situation n’est pas tenable, et il est certain que d’ici au bac 2021, un autre principe sera effectif. Et quid du contrôle continu ? Autant il peut être utile pour les années antérieures au baccalauréat, autant pour l’année du bac, son pourcentage actuel est très et trop élevé, parce qu’il fait de chaque professeur de la classe de terminale un «juge» déterminant, très puissant, responsable (et aux yeux de certains élèves, comme de leurs parents, même coupables, en cas d’échec des jeunes), qui, pour s’acheter une paix «sociale» pendant l’année, pourrait être tenté de voir systématiquement avec «bienveillance» les notes attribuées aux travaux. Et si ce projet est une étape, comment ne pas envisager que, face à un tel mécontentement général, une nouvelle proposition se fasse jour, avec, la suppression des notes ? Ce qui, sur le papier, a tout du système sympathique, mais rendrait possible une école, où la part des professionnels actuels pourrait devenir négligeable. C’est que, en effet, penser, c’est prendre en compte toutes les dimensions du temps, le passé, le présent, et le futur présent, «l’avenir », et si le projet nous invite à y penser selon les propositions de restructuration du lycée, pourquoi devrait-on ne pas penser aux conséquences et aux possibilités du coup d’après ? Concernant les difficultés au sein des établissements, le fait que, comme dans les entreprises, les établissements disposent d’une plus grande autonomie pour doter une sélection de disciplines d’un volume horaire complémentaire, de moyens supplémentaires, et inversement pour d’autres, est tout à fait susceptible d’alimenter des rancœurs, ou pire, et, certainement, des tensions. Quoiqu’il en soit de ce projet, l’Histoire de l’École est fondée sur des innovations, qu’elles aient été fondatrices ou secondes, qu’elles aient été vraiment fécondes, utiles, ou non. Ce nouveau lycée, comme ce nouveau Bac, s’inscrit donc dans ce mouvement. Pour celles et ceux qui, enseignants, et notamment, enseignants de Philosophie, ne l’acceptent pas, totalement ou partiellement, il faudrait donc qu’un travail permette d’élaborer un autre, nouveau, projet, qui puisse à la fois prolonger l’Histoire de l’Éducation Nationale, dans ses forces, ses réussites, et en même temps, en effet, innover. Quel pourrait être cet autre projet, et pourquoi ? Comme le GREPH l’avait imaginé et proposé, l’enseignement de la Philosophie pourrait être progressif, de la seconde à la terminale. Évidemment, il ne pourrait pas être identique, de la Seconde à la Terminale, les lycées n’ayant pas la même maturité selon l’âge. Logiquement, il pourrait être progressif, pour commencer par immerger les élèves en seconde, dans des questionnements, contemporains, afin de générer une habitude si fondamentale pour la pensée philosophique.
En première, il pourrait démarrer une approche de la pensée philosophique, par quelques auteurs, quelques textes, et par une contextualisation historique, afin de les relier aux autres champs intellectuels et symboliques, qui conditionnent et influencent la conscience créatrice, qu’elle s’appelle Platon, Descartes, Nietzsche. Et en terminale, le cours pourrait travailler les notions, de manière comparable à ce que nous faisons maintenant. Au-delà, le lycée pourrait être philosophiquement structuré. Les thématiques objectives de la conscience (le passé/la mémoire, l'Histoire, le présent/géographie/géopolitique/sciences politiques, le présent permanent/les lois de la nature, la nature et nos connaissances, l'avenir/la communication, la rhétorique, les langues) devraient structurer l'espace et le temps, scolaires, et la pensée de ce rapport aux dimensions de l'être et du temps, la "Philosophie", devrait donc accompagner l'ensemble des disciplines tout au long des études, de la Seconde à la Terminale, avec une montée en puissance, justifiée à la fois par l'intensification des contenus, par la maturité en construction des lycéennes et lycéens. En Terminale, soit la filière L serait maintenue, soit une spécialité "Philosophie, Sciences et Problèmes fondamentaux", avec un volume hebdomadaire horaire suffisant, permettrait de finaliser la formation. Pourquoi un tel projet ? C’est qu’il s’agit autant d’intéresser les professionnels en charge des enseignements, que les élèves eux-mêmes. Or, l’absence ou la faiblesse de la mise en perspective, tant à l’égard du passé que vers le futur, de ces enseignements, l’absence ou la faiblesse de l’explication sur le sens, de ces enseignements/savoirs, sur leurs liens, comme sur la perspective fondamentale de la création, et notamment la création des connaissances, contribue, si ce n’est à démotiver, à peu motiver, et les élèves les plus doués et dynamiques sont ceux qui, précisément, ont en tête l’architecture de ce réel, historique et présent.
Dans ce court texte, destiné aux Assises de l’enseignement de la Philosophie, qui se tiennent le 15 juin 2018 à Nanterre, il s’agit donc d’exprimer plusieurs, déterminations, convictions, potentialités : pour les professeurs de Philosophie, le rappel que l’avenir dépend aussi de leurs «utopies», «rêves», désirs, et que, là comme ailleurs, la voix anglo-saxonne de la TINA n’a pas raison, même si elle a ses raisons. Il s’agit également de prouver que, professionnel de, nous pouvons faire des propositions, afin, si nous nous opposons à telle ou telle proposition d’une réforme, de ne pas être renvoyé à l’accusation de stérilité et passivité. Il s’agit aussi, et enfin, de réellement, contribuer à cette réflexion collective parce qu’il faut, en effet, faire évoluer les cadres, les moyens, les objectifs, les pratiques, les manuels, de l’Éducation Nationale, et que, pour cette perspective, les professionnels de, ont une expérience analysée, évolutive, des compétences. Si, dans la perspective de «l’autonomie des établissements», il y a le principe de faire une plus grande confiance à ces professionnels, sur leur énergie, leur bonne volonté, leurs capacités, il faudrait s’en réjouir.