Le philosophe, auteur de "Nous citoyens, laïques et fraternels ?" (Éditions Kimé, 2015), réagit après les attentats. Pour lui, nous devons écarter le couple infernal de la politique néolibérale en Europe et de l’engagement d’une guerre sans perspective d’une paix durable.Comment réagissez-vous aux crimes du 13 novembre ?
André Tosel L’attaque sanguinaire menée en France appelle la compassion humaine pour les victimes. Elle exige que soient prises les mesures de sécurité pour la vie des personnes et le fonctionnement normal des services et des institutions. S’il est dangereux et erroné de parler de troisième guerre mondiale, il reste à penser la multiplicité des états de guerre et de leurs causes ainsi que le rapport qui unit la violence géopolitique des États libéraux dits civilisés, celle des groupes qui font de la politique sous diction théologico-politique fanatique, à la violence anthropologique qui cancérise partout les rapports humains. Cette violence produit des phénomènes de déshumanisation individuelle et collective et empêche la coexistence. Le deuil est nécessaire, mais, comme le dit Spinoza, et c’est difficile à vivre aujourd’hui, il ne s’agit ni de pleurer ni de rire, mais de comprendre pour donner une chance à la puissance d’agir en commun de communautés en paix, en rendant vivable et supportable l’existence de chacun(e).
Le chef de l’État a évoqué une guerre à mener. Êtes-vous d’accord ?
André Tosel Qu’attendre d’une politique de guerre – comme celle de la France républicaine de l’union sacrée entre Hollande, Sarkozy et Le Pen – contre l’« État islamique », si elle implique le maintien d’alliances avec des États comme le Qatar, la Turquie et l’Arabie saoudite qui jouent la carte de Daech ? Qu’attendre d’une alliance militaire qui ne se fonde pas sur la restauration du droit international et sur un mandat de l’ONU, l’un comme l’autre mis à mal par la folle politique états-unienne – qui a détruit des États comme l’Irak, la Libye, la Syrie, le Liban, qui a cautionné une violence désormais cinquantenaire exercée par Israël contre le peuple palestinien ? Qu’attendre d’une guerre sans perspective de reconstruction des communautés et sans un traitement des immenses questions sociales ? Que fera l’Union européenne ? Quelles perspectives pour les États et les peuples du Moyen-Orient dans le cadre de guerres civiles, nationales ?
La mondialisation, « meilleur des mondes possible », était présentée comme la « fin de l’histoire ». Ce n’est pas ce qui se produit, loin s’en faut ?
André Tosel Comment ne pas être sidéré et inquiété par la précipitation de l’histoire de la mondialité qui entre dans une période où même les structures acquises de la civilisation vacillent et où s’éloigne la perspective des émancipations nécessaires ? Nous en sommes à une troisième étape dans ce qui pourrait être une course à un précipice sans retour : l’état de guerre civile que veut imposer la terreur pratiquée par les partisans de l’« État islamique ». Elle fait suite à la vague de réfugiés sans précédent venant se déverser au sein de l’Union européenne pour fuir la guerre féroce qui oppose au Moyen-Orient des États en lutte pour une hégémonie sous-impériale. On se souvient aussi de la leçon brutale de maintien quasi dictatoriale de l’ordre économique néolibéral infligée à la Grèce, au mépris de la souveraineté populaire légitime et légalement exprimée. Une vi
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