L’année 2015 a été tragiquement marquée. Comment envisager que 2016 puisse apporter de l’espoir ?
Pierre Rosanvallon. L’année 2015 a été encadrée par deux séquences d’attentats de nature différente. En janvier, il y a eu un grand désarroi, mais pas vraiment naissance d’un sentiment commun. Le contenu de Charlie Hebdo conduisait certains Français à rester circonspects. À la fin de l’année, en revanche, toute la société s’est sentie atteinte. Mais reste posée la question de savoir comment se produit le commun dans une société. Il y a bien eu une communauté d’indignation et de compassion, mais il faut aussi faire communauté socialement. Et le problème est qu’il y a aujourd’hui deux définitions, concurrentes et exclusives, du vivre ensemble. L’une repose sur le projet d’une homogénéité d’exclusion, celle que Barrès a théorisée en 1893 dans son livre Contre les étrangers. De l’autre côté, le projet d’une intégration et d’une solidarité positive. Ce que j’appelle la « société des égaux ».
En quoi cette question de l’égalité est-elle capitale ?
Pierre Rosanvallon. Il y a d’abord l’égalité politique. Chaque voix compte en principe, mais toutes les voix ne s’expriment pas : la majorité électorale laisse donc beaucoup de monde de côté. Il faut pour cela trouver des voies compensatrices, pour exprimer autrement la volonté générale. Il y a ensuite l’égalité sociale. Il faut rappeler que la démocratie s’est définie à l’origine comme organisation d’un monde commun. Ce n’est pas seulement un régime, mais aussi une qualité de la société. Le problème est que l’égalité a reculé depuis une vingtaine d’années, de deux façons. Ce que j’avais défini avec Jean-Paul Fitoussi comme le « nouvel âge des inégalités » correspondait à une dissémination des inégalités. Ce ne sont plus simplement entre les groupes sociaux qu’elles existent, mais au sein de chaque groupe : il y a une individualisation des inégalités. Des inégalités nouvelles ont par ailleurs été engendrées par le nouveau capitalisme d’innovation et « l’ubérisation » de l’économie autant que par sa financiarisation. Se met ainsi en place un nouveau monde de rentiers et de super-riches.
La mise en place de la déchéance de nationalité ne menace-t-elle pas directement le principe d’égalité ?
Pierre Rosanvallon. Elle
via www.humanite.fr