Athènes (Grèce), envoyée spéciale. Si Platon connaissait les projets des oligarques, aux portes même de son académie ! Les habitants d’Academia Platonos, un quartier déshérité d’Athènes, en sont désespérés. Là où le philosophe fonda au Ve siècle avant Jésus-Christ sa fameuse école, un havre de verdure sauvé de l’urbanisation anarchique fait de la résistance. À l’ombre de vestiges antiques, les enfants s’y élancent sur des balançoires, en sortant de l’école. En fin de semaine, les habitants du quartier viennent y respirer, autour de repas champêtres pris sur le pouce. On y jouera bientôt l’Apologie de Socrate, dans un théâtre de plein air improvisé. Il faut croire que cet espace de liberté, lieu d’histoire délaissé par les pouvoirs publics, n’a plus sa place dans une ville défigurée de longue date par les appétits des promoteurs immobiliers. Pour défier l’héritage antique, il fallait au moins un mastodonte de Wall Street.
« Seule la multinationale porteuse du projet fera des affaires »
Le rôle échoit au fonds d’investissement BlackRock, une société de gestion d’actifs tentaculaire, qui brasse 4 000 milliards de dollars et compte, parmi ses actionnaires, les Rothschild, Warren Buffett, Georges Soros ou encore Elizabeth II. Sa filiale grecque, Artume SA, travaille d’arrache-pied, depuis 2007, à la réalisation d’un projet de centre commercial aux abords de l’académie. Gigantesque, ce temple de la consommation, qui pourrait s’étendre sur 55 000 mètres carrés, a déjà été baptisé par des professionnels de la communication, avant la pose de la première pierre. Il se nommera « Les Jardins de l’Académie ». Platon, marque déposée. Dès 2007, Artume SA a acquis, méthodiquement, 20 000 mètres carrés de terrains entre l’avenue Kifissou et l’avenue Lenorman, dont une vaste friche industrielle protégée, initialement destinée à devenir une extension du parc. Sur la table, 300 millions d’euros et la promesse de créer 1 600 emplois. Assez pour convaincre, en 2011, le ministre socialiste de l’Environnement Yannis Maniatis, qui a fait amender le plan d’urbanisme pour y faire entrer au forceps ce projet démesuré. Il faut dire que les liens entre la société financière et l’État grec étaient, à l’époque, familiers. La même année, la Banque de Grèce avait mandaté BlackRock pour établir un diagnostic de l’exposition du secteur bancaire grec au risque financier. Les temps ont changé et dans ses notes de conjonctures, le géant américain qualifie la gauche anti-austérité désormais au pouvoir de « populiste ».
Aux abords de l’académie, sur les décombres d’une violente crise économique, des lieux de pensée et de solidarité ont fleuri. La Politique est de ceux-là, qui revendique jusque dans son enseigne les préceptes de Platon. Voisin, Le Village européen, meublé de bric et de broc, est tout à la fois cantine sociale, carrefour de controverses philosophiques et scène d’improvisation musicale. Les habitants du quartier viennent y déjeuner pour quelques euros, dans l’après-midi. Vassilis Koufopoulos, l’une des chevilles ouvrières de cette agora, s’insurge contre le projet de centre commercial, qu’il juge aberrant. « Des dizaines de milliers de pièces antiques ont été découvertes sur ce site. La plupart ne sont accessibles ni au public, ni aux chercheurs. Plutôt qu’un centre commercial, nous préférons voir se construire ici le futur musée de la ville d’Athènes. L’académie d’Athènes doit être soustraite à l’avidité des capitalistes, pour redevenir un lieu de diffusion de la connaissance. C’est la seule proposition viable, respectueuse des habitants, de l’environnement et du patrimoine », tranche-t-il.
Attablés au soleil, deux habitants du quartier, des amis d’enfance, engagent un rude débat sur l’opportunité de ce projet urbain exorbitant. « Ce quartier a été urbanisé pour une large part de
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